Retour sur la première soirée débat Utopia Avignon, après la diffusion du film De chaque instant, le 11 septembre 2018.

Serpsy fait son cinoch

             

            Le désir de voir les représentations de la société évoluer sur la folie, la santé mentale, le soin en psychiatrie, anime les serpsyiens. Mais comment faire ? L’idée d’ouvrir notre réflexion à un public plus vaste avait émergé dans le groupe des serpsyens depuis quelques mois. Il y avait le sentiment d’une urgence de nous exprimer en dehors des lieux spécialisés pour discuter avec les non professionnels. Les lieux de cultures peuvent et savent accueillir les débats ouverts sur le monde, ils en ont la mission et l’habitude. Alors pourquoi pas, même si l’idée est un peu folle, un peu osée, de partir à la rencontre du cinéma ?

  Ça a commencé en juin. A l’ombre des  murs du Palais des Papes s’abritant du Mistral, Dominique et Madeleine s’installent à la terrasse du cinéma Utopia en Avignon. Une soirée/ débat utopienne vient de se terminer. Le cinéma organise régulièrement des rencontres avec les réalisateurs, des critiques de cinéma, ou des associations citoyennes. Ce soir-là, la séance était co-organisée avec les entendeurs de voix, à partir d’un documentaire américain. Le reportage suivait le parcours de plusieurs personnes qui avaient eu des problèmes psychiatriques graves et montrait comment chacun s’en était sorti. Dans le public se mêlaient des soignants qui ne disaient pas forcément qu’ils en étaient, venant sur leur temps personnel, des usagers, des animateurs du Gem d’Avignon, des spectateurs. Chacun parlait librement, les uns de cette particularité d’entendre des voix, d’autres du soin ou de la psychiatrie, de la violence ressentie d’être stigmatisé. Les discussions se croisaient, se répondaient, c’était simple, naturel. L’idée est venue là.

Et si Serpsy proposait à l’Utopia un cycle de films qui traiteraient de la folie, au sens large, avec rencontre et discussion avec le public à l’issue de la projection ? Deux jours après, un simple coup de fil au cinéma leur donne rendez-vous à la rentrée, le temps de laisser passer le festival et les vacances. Ce qui fut fait, et début septembre, il font la connaissance de Boris Doussy, qui, enthousiaste, leur propose une première date à l’occasion de la sortie du dernier film de Nicolas Philibert « De chaque instant » sur la formation infirmière dans les IFSI. Ainsi s’ouvrent à  Serpsy les portes du Cinéma Utopia d’Avignon. Et arrive la première séance, le premier débat.

 

Bien installé dans nos fauteuils rouge, l’attente sachève. La lumière s’éteint. Le projecteur se lance. Nous sommes Mardi 11 Septembre 2018, Madeleine, Dominique, Stéphanie et moi.  C’est le début dune nouvelle aventure pour Serpsy.

La pellicule tourne. Après, La Moindre des choses, Être et avoir, La Maison de la radio, le réalisateur Philibert, nous emmène avec lui, suivre son regard sur la formation en soin infirmier. Le découpage du réalisateur, séquence en trois temps, cette formation.

            Du lavage des mains, aux soins en stérile, la première partie, porte sur l’acquisition de gestes techniques. Les formateurs sont à l’écoute. Des rayons à lumière ultra-violet, au mannequin d’accouchement, le matériel ne manque pas pour ces futurs soignants. Une main gantée stérile, le demeure t-elle, quand elle vient à effleurer un instrument propre ? Une main stérile, est considérée sale, quand elle n’est techniquement, que propre ? Simple ou simpliste, pas tant que cela. Et si la question est d’importance, le manque est là. Nos futurs soignants sont des étudiants. Leur formation s’inscrit dans un parcours universitaire. Les cours magistraux y sont absents. Le regard de la caméra est centré sur la technicité.

             La pellicule tourne toujours. La caméra filme les premiers pas des étudiants dans les unités de soins. C’est le temps du stage. La mise en application de la technicité. Différents lieux, différents soins, les étudiants débutent, évoluent, agissent. Ils sont en devenir. Entourés, accompagnés par des professionnels du terrain, toujours à l’écoute. La caméra s’attarde sur les visages des patients hospitalisés sur qui les étudiants expérimentent leurs savoirs tout frais. Grimaces de douleur, d’inquiétude, ou d’angoisse dans l’attente de ce qui va leur arriver. Regards perdus. La question se pose, sujets ou objets de soins ? Chacun d’eux à sa manière tente de rester digne dans la douleur de ce corps qui leur échappe, et qu’ils confient au futur soignant. Les uns en serrant les dents, les autres en faisant de l’humour, d’autres en parlant de ce qu’ils ressentent. Hommes, femmes, enfants, aucun n’a choisi d’être là. La maladie les a saisis dans leur vie. Confrontation avec la douleur, l’angoisse de la mort. De toute évidence, être à l’hôpital n’est pas une partie de plaisir. Le film ne nous évite pas ces états de grande fragilité. Et les étudiants sont si jeunes.

Une séquence d’un stage en psychiatrie dans un hôpital de jour en région parisienne, nous montre un étudiant assis près d’une patiente pleine d’entrain et d’humour dans un jardin partagé. Il l’écoute. Doucement, elle le questionne, et le fait parler de lui. Spontanément, le jeune homme confie ses difficultés scolaires, ses erreurs de jeunesse. Il est sans malice, naïf. Une sorte de proximité s’établie entre eux. La relation humaine est palpable.

            Dernier temps, le retour de stage. Les étudiants défilent, chacun leur tour, dans les bureaux des cadres formateurs. La caméra capture les récits. Les premières impressions, le rapport à la mort, la pudeur, les difficultés vécues dans les équipes, le manque de personnel, la cadence journalière. Mais également la fierté, le désir de découvrir encore, de devenir enfin, infirmier. Les cadres écoutent, notent, conseillent, orientent.

           

            Le projecteur s’éteint. La lumière s’allume. Boris, notre interlocuteur Utopien, nous introduit. Micros en mains. Le public attend. Le débat peut commencer. La magie opère, ou du moins le débat. La parole, rapidement, est saisie, par le public. Un sentiment d’urgence frémit. Ils ne sont plus là pour écouter, mais pour parler. Pour prendre la parole. Et c’est celles d’infirmiers et d’infirmières de tout temps, de toutes formations qui se fait entendre.

            Le débat, vivant, est animé principalement sur la violence de cette formation. Est-elle réellement devenue bienveillante à l’égard des nouveaux des étudiants. A en croire, celles, se décrivant comme les « vieilles infirmières », elle tendrait à l’être. Fruit de leur désir, conclusion tirée d’un documentaire au regard tronqué. Que devenir pour la profession? La fin du diplôme d’Infirmier en Secteur Psychiatrique est déplorée. Les pratiques avancées en devenir sont intérogées.

            Si la vision, quelque peu édulcorée de Philibert, a le mérite de montrer ce qui se dit peu, se montre peu, à savoir le travail des soignants. Il porte également en lui, la naïveté, d’un regard, emprunt des représentations de la société. C’est surtout, comme il le dit lui-même en interwiew au moment de la sortie du film un « hommage » à cette profession de l’ombre, à travers ses étudiants. En effet, en janvier 2016, le réalisateur Nicolas Philibert, a lâché sa caméra pour enfiler la blouse du patient, aux urgences puis en soins intensifs. (Par ce documentaire, il vient rendre hommage aux soignants. )La douceur, et la bienveillance, mise en lumière dans ce documentaire, pourrait être à l’image de celle qu’il a lui-même reçu. Mais à l’ombre de la lumière, gît une réalité, qui elle, toujours tue, est celle de violence. Celle reçu, celle produite, qui perdure. Était-il possible, pour Philibert, de faire transparaître cette violence à l’écran, de la mettre à jour ? Sa démarche de remerciement, d’hommage, tend à honorer les qualités d’un métier, de son apprentissage. Mais ce faisant, il occulte, il dénie, ainsi, la réalité de la souffrance, celle des soignants, d’être au quotidien, au cœur de cette dernière. 

            En rendant hommage aux soignants, Philibert, par De Chaque instant, illustre de manière paradoxale, on peut même dire, qu’il révèle un déni collectif, fruit d’un impossible sociétal. Cette réalité bien difficile à entendre, à voir, à admettre, est celle d’une société qui maltraite ses soignants.

Léa Martinez

Infirmière CH Montfavet (84)

Serpsyenne

 

           

           

Des vertus du débats

Débats et des hauts

Des vertus du débat

L’aurore de ses doigts roses caresse tendrement la jongle endormie.(1) Dans ma hutte de bambou tressée je flâne sur le compte Facebook de la revue Santé Mentale. J’y lis que plus de 800 soignants ont assisté le 29 novembre, à Lyon, aux 3ème Rencontres Soignantes en Psychiatrie. Le thème en était « Isolement et/ou contention : quelles perspectives cliniques ? » Je me concentre, je fais le vide dans mon esprit ainsi que le recommande Christophe André. Je laisse tous mes muscles se détendre. Parfaitement serein, je peux lire les commentaires. Quelques réactions de dépit : « Un peu déçue par des pratiques pas franchement innovantes. Et pas de temps pour le débat. » « Moralisateur et pas de place au débat. Déçue. »
Faut-il s’arrêter à ces deux commentaires ou au contraire ne s’attarder qu’aux pouces levés des 71 like ? Il faudrait éviter de laisser les messages s’incruster dans nos esprits. Ne regarder que ces pouces glorieux qui valent approbation. Je suis ainsi fait que les mots m’attirent beaucoup plus que les images. Je préfère d’autant plus me focaliser sur les mécontents que présent lors de cette journée, j’ai eu la vive impression que tout n’allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes psychiatriques. Il est vrai qu’il y eut peu de place pour le débat. Douze interventions, un film, une remise de prix, un pique-nique géant organisé dans la salle de conférence, des pauses. Le menu intellectuel était copieux. Trop ? Quelques rares questions ont ponctué les quatre tables rondes. Applaudies chaque fois qu’elles visaient à légitimer isolement et contention. C’est en tout cas ce qu’il m’a semblé. Il est vrai que je n’ai fait que passer.
Donc pas de temps, ni de place pour le débat. Le constat mérite que nous nous y arrêtions même s’il semble très minoritaire. Le débat aurait-il eu davantage de place si les organisateurs avaient prévu davantage de temps pour les échanges ? Rien n’est moins sûr. Est-il possible de débattre à 800 ? Une journée consacrée aux perspectives cliniques soulevées par l’isolement et la contention en général implique-t-elle des positions si tranchées qu’il faille en disputer ? Chacun n’est-il pas d’accord avec le fait que la contention est nuisible en général ? On peut, par contre, discuter de cas particuliers, se demander s’il est ou était légitime d’attacher M. Dupont, un jeune psychotique délirant qui abuse régulièrement de cannabis. On s’opposera des arguments cliniques, on évaluera son potentiel de dangerosité, on scrutera le nombre de personnel présent au moment de sa crise d’agitation. Mais peut-on le faire à 800 ?
La question mérite d’être posée mais apparaît finalement comme assez secondaire. Sans le savoir, nos deux déçues des R.S.P. ont mis le doigt sur un mécanisme tout à fait passionnant qui relie, pour la langue, débat et contention.

Du débat à la contention

Chacun de nous, plus ou moins façonné par la télévision, croit savoir ce qu’est un débat. Le Grand Robert de Langue Française le définit comme « l’action de débattre une question, de la discuter avec un ou plusieurs interlocuteurs qui allèguent leurs raisons. » (2) Le débat fut même un genre littéraire en vogue au Moyen-Age et à la Renaissance. Deux personnages allégoriques s’y opposaient dans un dialogue autour d’un thème choisi donnant lieu à de véritables joutes oratoires. On doit ainsi à la poétesse lyonnaise, Louise Labé, le fameux Débat de Folie et d’Amour. On n’en sort décidément pas ! En un fameux passage à l’acte Folie énucléa Amour qui en devint aveugle.
Ainsi, qui dit débat dit conflit, dissension, désaccord. Nos deux collègues en regrettant l’absence de débat font état d’une opposition entre ceux pour qui ça va de soi et ceux pour qui ça ne va pas de soi. Les opposants n’auraient pas eu, selon elles, l’espace pour développer leur argumentation. C’est effectivement dommage.
Le mot débat, apparu au XIIIème siècle, est le déverbal du verbe débattre qui avait le sens de « battre fortement », puis « se débattre » et « discuter ». Par battre, on entendait d’abord donner des coups. Si le sens du mot s’est affadi avec le temps, il s’est ressourcé en étant à l’origine de nombreuses expressions techniques agricoles : « battre le grain », « fouler le drap », « rabattre la faux », etc.
Débattre c’est donc s’opposer avec des mots, des arguments, de la raison. Cette mutation, synonyme de progrès et de socialisation, conduit le mot à en croiser un autre aux significations, à l’origine, assez proches : contention. Tendre avec force, lutter, puis débattre et discuter. On évoque un esprit de contention et de chicane. Dans un langage assez soutenu la contention décrit au XIVème siècle la tension des facultés intellectuelles vers un objet de pensée puis une tension importante, un effort physique intense avant que la chirurgie s’en empare au XVIIIème siècle et n’en fasse l’action de maintenir dans une position adéquate un organe accidentellement déplacé. Lorsque l’on se réunit pour étudier le parcours clinique d’un patient qui pose problème et que l’on envisage de contenir, on fait preuve de contention. Lorsque chacun associe, réfléchit, se confronte à d’autres soignants plus à distance de la situation, lorsque l’on relit le dossier, lorsque l’on mobilise des situations proches pour en tirer des leçons, une expérience qui pourrait éclairer, c’est de la contention. Au sens premier du terme. Quand on renonce à ce travail de pensée, quand on substitue des actes à une réflexion qui nous borde on est contraint à la contrainte, à la contention.
Comment passe-t-on du sens chirurgical, réel dirais-je, à un sens métaphorique sinon fantasmatique ? Difficile d’y répondre en quelques phrases. On retrouve le sens spécifiquement psychiatrique du terme : « Immobilisation d’un malade mental agité ou furieux au moyen de dispositifs appropriés (camisole, ceinture, etc.) ».(3) La définition est illustrée d’un exemple : « Philippe Pinel fut l’un des premiers aliénistes à renoncer au principe de la contention des agités, entièrement abandonné depuis la découverte des neuroleptiques. »(4)
Il serait un peu facile d’affirmer que pour la langue, moins on utilise ses facultés intellectuelles et psychiques, moins on se préoccupe d’un objet de pensée tel qu’un patient ou un malade mental, plus on tend à l’attacher. La contention viendrait à la place du débat. On peut comprendre que nos deux collègues regrettent son absence.

Débattre à 800 ?

Il est heureux que les soignants soient en désaccord autour des isolements et contentions. Le consensus en cette matière serait tout à fait dommageable et pour les soignants et pour les patients même si notre bonne conscience préfèrerait que tous soient opposés à ces mesures. Nous sommes contre tant qu’aucune situation ne dépasse notre capacité à contenir agressivité ou violence. Il suffit que nous soyons en difficulté pour que la vigueur de notre refus faiblisse. Dans l’équipe certains commencent à en parler. Timidement. A voix basse. Autour du café. Ils ont connu un service où … Ils se rassurent très vite en précisant que dans ce service c’était rare et que ce n’était pas de la maltraitance. Plus l’équipe se sent en difficulté et plus ce courant d’abord souterrain prend confiance et parle ouvertement. Jusqu’au jour où l’on se résout à attacher le patient qui perturbe la vie du service. On est bien persuadé qu’on ne l’a fait qu’en dernier recours : « On ne pouvait pas faire autrement ! » Que ce soit vrai à cette occasion n’implique en rien que cela le soit lors des contentions suivantes. Parfois le pli est pris. La contention devient un mode de gestion des comportements inadéquats.
Parfois, on en reste là. A cette unique expérience. C’est tellement douloureux d’avoir dû en arriver à cette extrémité, qu’on y renonce définitivement. Les soignants en parlent pendant des années, même ceux qui ne travaillaient pas encore dans l’unité. Ça fonctionne comme une faute collective qui se transmet de soignants en soignants.
Débattre ? A 800 ? Impossible.
Ce n’est pas la bonne échelle.
L’isolement et la contention doivent être débattus à l’échelon local, entre collègues. On doit pouvoir s’opposer, faire état de nos désaccords, échanger des arguments et faire le constat que ces différences d’appréciations ne nous transforment pas en ennemis irréconciliables.
Les services psychiatriques sont assez mal faits. Il n’existe aucune possibilité de pouvoir compter le nombre de like lorsqu’une décision est prise. Si la communication, et je n’ose dire la réflexion, passaient uniquement par Internet ou par smartphone, si chaque soignant avait son avatar, il serait possible d’envoyer des like au médecin qui modifie un traitement neuroleptique. Chaque soignant serait une sorte de Néron qui pourrait abaisser ou lever son pouce, signifiant ainsi, la vie ou la mort pour la décision prise. On perdrait moins de temps en réunion.
Y aurait-il moins de contentions et d’isolements ?
Dans la jungle psychiatrique qui roupille, je laisse mes doigts se détendre, je les fais craquer. J’enfile une paire de gants et m’apprête à appuyer sur la touche. Le débat ne passera pas par moi.

Dominique Friard
Lanceur d’alertes

Notes :

1- GOTLIB, Rubrique-à-brac, n° 4, Dargaud, Paris, 2006, p. 4.
2- REY (A), Grand Robert de Langue Française, Paris, 2001.
3- REY (A), Grand Robert de Langue Française, Vol. 2, Paris 2001.
4- Ibid.