L’imaginaire dans la clinique

 

XVI Rencontres de la CRIÉE : les 31 mai, 1er et 2 juin 2018

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Nous avons, les années précédentes, travaillé sur « le Collectif à venir », ce qui nous a conduit à relire plusieurs séminaires de Jean Oury, mais aussi à revisiter la catégorie de l’imaginaire. L’enjeu des « praxis instituantes » pour reprendre le terme de Pierre Dardot et Christian Laval, nous a renvoyés à une première lecture de l’élaboration de Cornelius Castoriadis. Celui-ci produit très tôt la catégorie de l’imaginaire radical, à entendre dans ses deux acceptions : à la racine du sujet, mais aussi dans  son inscription dans les« productions imaginaires du social-historique ». Là où Lacan mettait le symbolique, puis le Réel, au cœur de la problématique du sujet, Castoriadis place donc l’imaginaire radical, manière de se détacher très tôt du structuralisme, de tout déterminisme, et de ce qu’il  appelle « la pensée héritée ». Il s’agit d’un tout autre imaginaire que celui du stade du miroir, puisqu’il évoque entre autres pour l’expliciter la possibilité d’envisager une composition musicale. Il s’agirait d’explorer cette piste de travail mais aussi toutes celles qui nous viennent de notre clinique des psychoses et des états-limites. De fait de nombreux auteurs, dès lors qu’ils se sont confrontés à la clinique, ont produit d’autres conceptions de l’imaginaire : que l’on pense au « premier rassemblement » (coming together) de Winnicott, à  l’espace imaginaire de « l’autre scène » exploré par Octave Mannoni, à la gestaltung de Jean Oury, et à bien d’autres. Depuis longtemps nous nous y trouvons à notre tour confrontés quand il s’agit de restaurer « l’image inconsciente du corps »(G. Pankow) abimée d’un patient, sa capacité à rêver, à s’ouvrir à la possibilité de l’amour. L’importance que nous accordons à la narrativité, mais aussi aux productions plastiques des patients, à leur accès à un espace imaginaire fait partie de notre souci quotidien. Notre propre capacité à rêver, fantasmer ce qui se joue dans l’espace du transfert ne saurait se réduire au seul registre du symbolique, alors que nous nous préoccupons de l’ambiance, du sensible et du tact. Enfin nous ne pouvons plus penser ce qui se joue pour un sujet sans tenter de l’articuler avec ce qui se passe dans le Monde, et  donc aux « productions imaginaires du social-historique ». Est-ce une autre manière d’envisager la « double aliénation », concept crucial de la Psychothérapie Institutionnelle ? Sans doute, mais en insistant aussi sur la nécessité actuelle de repenser notre réalité clinique et institutionnelle en prise avec une « nouvelle raison du monde »(P. Dardot et C. Laval) néolibérale. Une raison qui  engendre une vision réifiée des sujets en souffrance, rabattement sur un imaginaire comptable, marchand, où chacun se trouve mis en concurrence avec tous.

Il nous resterait donc à repenser cette catégorie de l’imaginaire qui permet au sujet de soutenir une utopie concrète se passant de toute terre promise comme de toute réconciliation du sujet avec lui-même. Sans cette utopie, ce mirage nécessaire porté par l’illusion, comment  pourrions-nous  imaginer une vie désirable, condition indispensable pour un travail  qui élabore avec la psychanalyse le rapport du sujet à son « désir inconscient inaccessible »?

                                                                                               Patrick CHEMLA