Les bijoux de la consolidation des savoirs

Les bijoux de la consolidation des savoirs

 

De mai 2005 à avril 2017, le Centre Hospitalier de Montfavet (84) a proposé une formule originale de consolidation des savoirs. Cette formation s’adressait à des infirmiers de tous âges qui débutaient en psychiatrie. On y rencontrait aussi bien de jeunes soignants qui occupaient leur premier poste que des infirmiers plus aguerris et plus âgés qui avaient exercé aux Urgences, en Réanimation, en Rééducation, etc. ou en Libéral. Lors des présentations, ces derniers expliquaient régulièrement que ce qui les intéressait dans le soin, c’était la relation avec le patient. Faute d’avoir trouvé ce qu’ils cherchaient dans les soins somatiques, ils finissaient par arriver en psychiatrie où une nouvelle voie s’offrait à eux. Ils étaient souvent enthousiastes.

La consolidation des savoirs à Montfavet avait été précédée par une formation dite de spécialisation en psychiatrie. Deux établissements seulement en France (le C.H. Charles Perrens à Bordeaux et le C.H. de Montfavet) proposèrent une telle formation. Ce cursus d’une durée de 50 jours s’achevait par la présentation d’un mémoire clinique présenté devant ses pairs. Lorsque les événements de Pau amenèrent la création du tutorat et de la consolidation des savoirs, il devint impossible de maintenir cette formation extrêmement contraignante pour les unités de soins. Il leur était impossible de libérer des agents 50 jours d’un côté et 15 jours de l’autre. Les deux formations fusionnèrent donc. La consolidation des savoirs dura d’abord 23 jours plus deux, puis 21 jours plus deux. Chaque soignant devait présenter une histoire clinique fouillée devant ses pairs. Deux jours pleins (les + 2) étaient consacrés à cette soutenance. Ainsi, plus de 140 textes cliniques furent-ils élaborés, présentés et discutés à cette occasion.

La formation reposait sur l’expertise de trois soignants : Anne Rivet, psychologue clinicienne au C.H. Montfavet chargée de l’approche psychopathologique, Dominique Friard, I.S.P. chargé d’accompagner la rédaction de l’écrit clinique final et une psychologue clinicienne (Claudine Fuya, Karina Terki) ou actuellement un cadre-infirmier (Dominique Fontaine) chargés d’animer des séances d’analyse de la pratique professionnelle.

Les textes présentés étaient de longueur variable (de deux à dix-huit pages). Ils étaient le fruit d’un parcours et d’une élaboration de six mois où les allers-retours terrain-formation étaient nombreux, chaque champ enrichissant l’autre. Certains de ces textes ont été publiés dans des revues ou présentés lors de journées cliniques mais la plupart restent inconnus du public professionnel, ce que je trouve dommage. Nous allons en présenter quelques-uns dans cette rubrique.

 

Julie, Léa et Stéphanie, toutes trois adhérentes de serpsy ont emprunté ce chemin.

D. Friard

 

« Je ne sais plus quoi faire ! »

 

 

Récemment diplômée, avec peu d’expérience en psychiatrie, j’ai ressenti le besoin de suivre une formation complémentaire afin de me sentir davantage professionnelle dans mes fonctions d’infirmière en psychiatrie. J’ai pu ainsi acquérir un peu plus de savoir théorique, notamment par l’analyse de ma pratique.

Il m’arrive parfois, en effet, de me sentir en difficulté dans mon travail quotidien en C.M.P. Je me sens, alors, très loin de ce qui constituait mes références en soins généraux. Certains entretiens impliquent de faire des choix, d’orienter le patient et d’évaluer le degré d’urgence à agir ou non. Nous n’avons pas toujours le temps de prendre du recul pour mettre à distance certaines situations, les analyser, en déduire une démarche de soins qui donne du sens à notre travail. C’est pourquoi, il me semble très intéressant d’avoir une approche centrée sur l’analyse des pratiques qui permet d’apporter un autre regard sur la prise en charge des patients. Il m’apparaît chaque jour plus nécessaire de revenir sur la clinique qui constitue un apport indispensable à notre travail et permet de mieux appréhender les situations de soins.

 

Audrey n’en peut plus

 

Je m’interroge sur la prise en charge d’Audrey, une patiente âgée d’une trentaine d’années qui est suivie en psychiatrie depuis deux ans pour un syndrome anxio-dépressif qui se manifeste essentiellement par un trouble des conduites alimentaires de type anorexie mentale.

Audrey vient au C.M.P. une fois par semaine pour préparer son semainier. Les entretiens se font souvent de manière informelle. Elle est submergée par ses angoisses. Nous répondons souvent dans l’urgence avec la fâcheuse impression d’être à côté et qu’elle repart avec ses problèmes. Son corps meurtri depuis le viol qu’elle a subi à quinze ans ne semble plus constituer une enveloppe. J’ai la sensation de la voir disparaître sous mes yeux. Elle suscite en moi la peur d’un passage à l’acte impulsif.

Ça y est, c’est lundi ! C’est le jour où elle vient pour son semainier. Elle franchit la porte du C.M.P., la tête bien droite, avec sa longue chevelure brune. Elle donne l’apparence d’être sûre d’elle-même mais … Sa présentation est très féminine, soignée, maquillée. Ses vêtements bien coordonnés mettent en évidence sa cachexie extrême.

Je m’approche pour lui dire bonjour, lui serrer la main. Le mouvement est peu tonique. La voix est frêle, tremblante, presque nouée. Les larmes envahissent ses yeux. On y est, l’angoisse est palpable. Elle est dépassée. Probablement que moi aussi d’ailleurs. Elle lâche :

« Je n’en peux plus, je suis angoissée … Les médicaments ne me font rien. Je ne sais plus quoi faire. »

Les entretiens informels lui fournissent l’occasion de verbaliser son mal être mais elle a du mal à mettre des mots, c’est l’angoisse qui prédomine. L’ambiance est pesante. Certaines semaines, elle exprime même des idéations suicidaires telles que prendre sa voiture et se jeter dans un fossé voire avaler d’un coup tous ses médicaments. Parfois, trop rarement, elle n’exprime « que » de l’angoisse.

Le psychiatre la reçoit également régulièrement. Les traitements médicamenteux proposés ne lui conviennent pas. Elle a décidé qu’ils lui faisaient prendre du poids. Elle finit toujours, tôt ou tard, par arrêter de les prendre. Elle ne peut pas envisager la moindre hospitalisation. Elle met tantôt en avant des problèmes financiers, tantôt l’impossibilité de s’arrêter en maladie de peur de perdre un travail précaire. Tout semble servir de prétexte.

 

Je tourne en rond

 

Audrey me confronte à l’échec. J’ai l’impression de tourner en rond. Sa prise en charge provoque en moi un désagréable sentiment d’impuissance.

Le médecin refuse d’envisager autre chose qu’une hospitalisation qu’Audrey élude avec astuce. Elle refuse le traitement, n’adhère à aucune thérapeutique, qu’en est-il du travail infirmier ? Quelle stratégie de soin adopter ?

Je ressens chez elle une certaine ambivalence et une ambivalence certaine. Elle peut rechercher la proximité du soignant, la relation peut sembler thérapeutique mais c’est uniquement dans l’urgence, dans l’immédiateté quand elle se sent débordée par l’angoisse. Le reste du temps, elle est distante. Aucune continuité dans le soin n’est possible. Elle s’oppose régulièrement aux soins et met en place des mécanismes de résistance dont la finalité m’échappe.

Son ordonnance n’est actuellement plus renouvelée par le médecin. Il existe sûrement un moyen de l’amener à accepter cette hospitalisation dont je ne perçois pas vraiment la nécessité. Qu’en est-il de notre responsabilité de soignant dans l’obligation de mettre en œuvre les moyens de la contraindre au soin ?

Elle repart, en tout cas chez elle, seule. Le pari est ambitieux, voire audacieux. Il s’y joue son avenir.

 

A elle d’être le moteur de sa prise en charge !

 

Je ne suis pas la seule à me sentir tenue en échec par Audrey. Suite à ses multiples refus d’hospitalisation, il a été décidé, récemment, qu’elle ne serait plus prise en charge par le psychiatre qui la suivait jusqu’ici. Elle n’a pas été orientée vers un autre psychiatre du C.M.P. mais vers son médecin généraliste. A elle d’être le moteur de sa prise en charge en espérant que les choses puissent bouger.

Audrey ne passe donc plus au C.M.P., elle téléphone de temps en temps, pour donner de ses nouvelles. Elle nous a confié qu’elle se débrouillait pour son traitement, qu’elle avait repris de nombreuses activités sportives, et qu’elle envisage, depuis un certain temps, de déménager.

 

Une petite fille modèle qui ne sent plus exister

 

Aujourd’hui Audrey semble  hyperactive comme elle l’était au début de sa prise en charge. Elle manifeste le besoin de maîtriser et de contrôler son environnement notamment dans la relation à l’autre avec un fort désir de plaire aux hommes en lien, peut-être, avec son histoire et la relation qu’elle entretient avec son père.

Audrey rattache ce besoin de plaire à son enfance, il est concomitant avec le retour de son père dans la famille quand elle avait six ans. Il coïncide également avec la naissance de son frère marquée à nouveau par les absences fréquentes d’un père militaire de carrière.  Audrey se décrit comme ayant été une petite fille modèle, à présent lassée de cette représentation. Elle a le sentiment de ne pas exister. C’est dans ce contexte qu’elle est hospitalisée pour la première fois en 2003, sur demande d’un tiers. Elle avait tenté de se noyer. Non pas pour se tuer mais, dit-elle, comme une pulsion de vie liée à la transgression de l’interdit.

Lors des entretiens, Audrey évoque volontiers son enfance. Elle se souvient d’une relation fusionnelle avec sa mère. Jusqu’au retour de son père et la naissance de son frère. Elle décrit sa mère comme anxieuse, enfermée dans des comportements de type obsessionnel, dépressive même. Elle s’est alors sentie abandonnée par sa mère qui s’est occupée davantage de son petit frère et trahie par son père auquel elle voulait malgré tout plaire, allant même jusqu’à exercer la profession de gendarme pour répondre à ce qu’elle estimait être son désir. Alors qu’elle ne supporte pas l’uniforme.

Elle évoque une modification de con comportement à six ans. Elle a commencé à se replier sur elle-même, à multiplier les colères. Son adolescence difficile, est marquée par une anorexie mentale décelée à douze ans. Elle se déclare, dit-elle, suite à un régime dermatologique consécutif à des allergies alimentaires.

Elle a des antécédents suicidaires. La première tentative est consécutive à un viol, survenu à quinze ans. Elle dit qu’elle a eu le sentiment d’être morte ce jour-là. Elle ne connait que des relations très épisodiques avec des hommes de rencontre. Elle n’arrive pas à construire de relation durable avec un homme. Elle se sent sale. Elle ne peut exister que par sa maigreur.

 

Conclusion

 

Lorsque je recevais Audrey, je percevais un risque de passage à l’acte suicidaire dont son anamnèse montre qu’il n’était pas que théorique. Mes autres collègues, le médecin ne percevaient pas ce danger avec la même acuité que moi, pourquoi ? J’avais la sensation de lâcher  prise, de l’abandonner dans sa souffrance sans pouvoir la soulager.

Je me sentais responsable de ne pas comprendre ce qui se passait pour elle.

Je m’accrochais à cette idée folle qu’il fallait la soigner, la « sauver » bien au-delà de ce qu’elle voulait, car j’étais confrontée à l’échec et ce n’était pas envisageable pour moi.

Le reste de l’équipe qui avait plus d’expérience m’a renvoyé sur ma position de soignante. Nous ne pouvons pas investir le monde et agir à la place des patients. Nous avons mis en œuvre différentes propositions de soin, de thérapies, nous l’avons d’autant moins abandonnée qu’elle a refusé activement nos propositions. Nous sommes le tiers à l’écoute, présent autant que possible. Pouvons-nous aller au-delà de l’autre ? C’est Audrey qui fait ses choix avec tout ce que cela comporte de risques mais aussi de possibilités de réussite.

Le diagnostic posé étant celui de « personnalité borderline », autant vous dire que ma mince expérience en psychiatrie m’a rendu la tâche bien difficile quant à cette prise en charge. J’ai fait preuve d’un réel manque de distance, les discussions en équipe m’ont permis de me rendre compte que j’y mettais un peu trop de moi-même. Je découvre au fil de ma vie professionnelle en psychiatrie qu’on travaille avec un bout de soi-même parce que nous ne sommes pas que des soignants, nous portons aussi notre passé, le présent et notre avenir qui nous apprend à travailler avec cette dimension dans toute sa complexité.

Garder la juste distance ? Je ne pense pas que notre formation initiale nous apporte une telle compétence, il faut accepter d’être impuissant parfois, se laisser du temps, apprendre des autres et de soi-même pour, peut-être, soigner « l’autre » un jour.

 

 

Aurélie Licari, I.D.E. C.H. Montfavet (84)

n° 8 Bécassine chez les ados – Issan

n° 8 Bécassine chez les ados –  Issan

 

Issan est un jeune garçon de 13 ans, hospitalisé dans le service « depuis deux mois, une semaine et trois jours », comme il le répète en ajustant le nombre de jours quotidiennement. Il est désormais en attente d’une nouvelle famille d’accueil pour pouvoir sortir. Autant dire qu’il est inquiet car il vivait dans la même famille depuis l’âge de 18 mois. Par ailleurs, en deux mois ici, il a vu partir tous les autres enfants, dont la plupart ne sont restés qu’une dizaine de jours. Il se retrouve seul depuis quelques jours, face à l’équipe et son comportement est tout autre. En effet, depuis qu’il est l’unique sujet de nos soins dans le service, il nous demande chaque matin le programme de la journée pour mieux le refuser.  Dès que l’une de nous propose une activité, il la nargue : « Et ben je le ferai pas. Je fais ce que je veux. C’est moi qui décide … Je me fais chier donc je vous fais chier ».  Ca, c’est au mieux. Au pire, il touche à tout, ferme ce qui est ouvert, ouvre ce qui est fermé, pousse le chariot à ménage, saisit un flacon de nettoyant, asperge un mur, traîne la poubelle jusqu’à ce qu’elle s’éventre … Lorsqu’il est dans cet état, nous ne ressentons aucune agressivité de sa part, juste son incapacité à communiquer avec nous d’une autre manière, ce qui n’en rend pas pour autant la situation moins violente pour nous et nous nous sentons toutes profondément démunies.

 

Samedi matin, Marie-Jo et moi prenons notre service en traînant la patte. Nous savons que nous allons devoir traverser un long week-end en tête à tête avec Issan. Pendant qu’il dort encore, nous discutons sérieusement de la manière la plus confortable de passer ce week-end, lui et nous. Mais petit à petit la révolte gronde. Y’en a marre de subir la manière dont il nous traite ! Il veut qu’on lui fiche la paix, il ne veut rien faire, qu’à cela ne tienne, on va le prendre au mot ! Aujourd’hui nous le laisserons venir, observerons et suivant le scénario qu’il nous servira, nous passerons à l’attaque demain. Nous nous sentons aussitôt ragaillardies pour accueillir joyeusement Issan lorsqu’il se réveillera. Après lui avoir expliqué que nous nous étions rendu compte que nous le sollicitions bien trop et que nous devions accepter son désir de ne rien faire, la journée du samedi s’est étirée doucement comme nous l’avions prévue : Issan louchant régulièrement vers nous d’un œil dubitatif et vérifiant tout aussi régulièrement si nous ne craquions pas ; Marie-Jo et moi imperturbables, riant sous cape de voir son manège.

 

Dimanche matin nous arrivons toutes les deux très en forme et peaufinons avec nos collègues de nuit la stratégie de la journée à venir. Issan se lève à 10h et nous trouve toutes les deux littéralement vautrées sur les canapés de la salle de télévision, la tête sur des oreillers, les jambes calées sur des traversins, maniant les zappettes et papotant joyeusement : – « Si tu mets ta poule dans ton bouillon, il sera beaucoup plus goûteux … », me dit Marie-Jo et moi d’acquiescer benoîtement. Issan nous regarde éberlué : – « ben vous êtes fatiguées ou quoi ?! ». Et nous de le remercier de nous avoir fait découvrir combien il est doux de ne rien faire… Lorsqu’il nous demande le petit déjeuner nous tardons à nous lever, concentrées sur le petit écran, tant et si bien qu’Issan finit par aller chercher une chaise (puisque nous prenons toute la place) et attend avec nous. Au bout d’un quart d’heure, nous finissons par aller ouvrir la salle à manger où tout était prêt et retournons vite à notre activité du jour : ne rien faire du tout.

Son petit déjeuner englouti, Issan nous rejoint mi-figue mi-raisin. Marie-Jo, toujours les pieds en l’air et la zappette errante, moi l’œil torve, vissé sur le petit écran, nous passons du documentaire animalier, à l’expédition au Groenland, en passant par la visite des archives du Palais de Justice de Paris. Issan nous surprend car il est aussi intéressé par les programmes que par nos papotages. Du coup, nous nous poussons un peu l’une l’autre pour lui faire une toute petite place sur le canapé encombré et il entre dans la danse : – « Ben tu vois Marie, puisque t’es née à Paris, ton acte de naissance il est dans une des boîtes de ces étagères ! »… Si la culpabilité de ne rien faire menaçait parfois de nous effleurer, nous l’avons vite écartée !

L’heure du repas arrivant, Issan se dit qu’il tient là le moyen de nous faire capituler et il s’étonne, l’air de rien, que nous ne bougions pas. Mais, toujours lamentablement vautrées dans nos coussins, nous nous extasions une fois de plus sur le bien-être que procure le rien faire. Nous en rajoutons encore une louche avant de déplorer : – « Si seulement l’un de nous commençait à mettre la table nous pourrions peut-être essayer de bouger ». Issan nous voit venir et nous oppose une fin de non recevoir. Nous en restons donc là, continuant notre zapping et nos bavardages tous les trois. Une heure plus tard Issan s’inquiète tout de même de ne pas manger et réitère sa question, à laquelle nous répondons toujours avec le même ravissement qu’à force de ne rien faire, nous n’avons plus d’énergie du tout : – « il nous faudrait des roulettes pour bouger ! ». Qu’à cela ne tienne, Issan va chercher des fauteuils à roulettes et s’en suit un jeu de petit train où nous nous tirons et nous poussons tous les trois en riant de bon cœur. Issan nous raconte des scènes de sa vie familiale tout en glissant dans les couloirs. Il évoque aussi Noël et sa peur d’être toujours hospitalisé. Nous échangeons, toujours sur nos roulettes, autour de cette éventualité. Nous regardons le planning pour savoir qui de nous sera là. Nous faisons mine de nous disputer sur le menu de fête… Papoti, papota et tralala puis, Issan décide de mettre la table. Du coup, Marie-Jo et moi préparons le repas. Il est 15h passé.

– « Alors qu’est ce qu’on fait cet après-midi ?!  Moi j’ai besoin de prendre l’air. Je voudrais sortir». Connaissant notre oiseau, nous renâclons tant et plus et ne promettons surtout rien. Issan prend Marie-Jo par les sentiments, en proposant de faire des gâteaux. Nous ne mouftons sûrement pas. Par contre, nous lui donnons la télécommande et il se rue à nouveau à la salle de télévision. Surpris de nous voir le suivre, il nous promet de nous faire craquer à force de regarder des programmes qui ne vont pas nous intéresser. Débordantes de gratitude vis à vis de celui qui nous a fait découvrir le farniente, nous nous installons toutes les deux à côté de lui, prêtes à tenir notre rôle de composition avec brio, en ingurgitant jusqu’à la lie des dessins animés plus débiles les uns que les autres…

 

Nous avons veillé tout au long de ce joli week-end, à ne jamais mettre Issan en difficulté et il l’a senti. Notre but était de lui signifier ce que son attitude avait d’intolérable pour nous, tout en tricotant autour de lui une ambiance tonale suffisamment rassurante pour qu’il puisse se laisser aller.  Même s’il n’a pas saisi l’ensemble de notre message, il en a compris des bribes et surtout il a pu tester une forme de relation qui n’a pas été dangereuse.

Si nous avons pu mettre en place un scénario aussi foldingue, c’est que nous nous sentions nous aussi dans une ambiance suffisamment rassurante. Nous sommes autorisés et donc, nous nous autorisons à déclarer en équipe notre impuissance et notre ras le bol. Le lundi, pendant 1h30, nous nous retrouvons tous ensemble, infirmiers, éducateur, cadre, assistantes sociales, psychiatre, psychologue et psychomotricien pour faire la synthèse de nos regards sur chaque enfant. C’est un moment où nous retroussons nos manches pour décortiquer les situations les plus inextricables et ouvrir d’éventuelles pistes de soin. C’est le contenu de cet espace de pensée collective que chacun saisit lorsqu’il est pris individuellement dans une séquence de soin avec un enfant.

 

Marie Rajablat