Partage d’informations à caractère secret dans les commissions traitant des situations des personnes accompagnées
Auteur/autrice : eladminSerpsy
Centres d’appui aux conseils locaux de santé mentale
http://clsm-ccoms.org/wp-content/uploads/2018/01/20180115_Rep%C3%A8re-situation-difficile-CLSM-2.pdf
Repères sur les commissions de réflexion et d’aide pour des personnes en situation difficile dans le cadre des Conseils Locaux de Santé Mentale
Petite sortie en Psy
La librairie Ombres Blanches, Serge Vallon et les éditions érès ont le plaisir de vous inviter
au prochain « CAFÉ PSY »
sur le thème Que transmet l’internet ?
Un monde ou des villages ?
animé par Serge Vallon *
Avec la participation de Joël Faucilhon
Le samedi 10 février 2018 de 11h à 12h30
à la Librairie Ombres Blanches – 3 rue Mirepoix – 31000 Toulouse – 05 34 45 53 33
Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles – Il est prudent d’arriver 1/4 d’heure avant
Ni conférence savante, ni forum d’adhésion, ni consultation sauvage, disponibles ailleurs, ce Café psy mensuel vise modestement à faire circuler des savoirs et des représentations sur nos processus psychiques qu’ils soient individuels ou collectifs. Venez y participer, échanger et débattre dans un esprit ouvert et citoyen, respectueux de la parole d’autrui.
*Serge VALLON, docteur en psychologie et psychanalyste, a accepté d’en être le régulateur et l’animateur. Formé à l’Ecole Freudienne de Paris, il se dit psychanalyste laïque. Militant d’éducation populaire et enseignant, à côté de son activité clinique il a animé à Toulouse une innovante Petite Agora de Psychanalyse dont les plus anciens se souviendrons du caractère interdisciplinaire. Co-directeur de la collection « Trames » (érès), il a longtemps dirigé la revue Vie Sociale et Traitements des CEMEA (érès).
Les bijoux de la consolidation des savoirs
Les bijoux de la consolidation des savoirs
De mai 2005 à avril 2017, le Centre Hospitalier de Montfavet (84) a proposé une formule originale de consolidation des savoirs. Cette formation s’adressait à des infirmiers de tous âges qui débutaient en psychiatrie. On y rencontrait aussi bien de jeunes soignants qui occupaient leur premier poste que des infirmiers plus aguerris et plus âgés qui avaient exercé aux Urgences, en Réanimation, en Rééducation, etc. ou en Libéral. Lors des présentations, ces derniers expliquaient régulièrement que ce qui les intéressait dans le soin, c’était la relation avec le patient. Faute d’avoir trouvé ce qu’ils cherchaient dans les soins somatiques, ils finissaient par arriver en psychiatrie où une nouvelle voie s’offrait à eux. Ils étaient souvent enthousiastes.
La consolidation des savoirs à Montfavet avait été précédée par une formation dite de spécialisation en psychiatrie. Deux établissements seulement en France (le C.H. Charles Perrens à Bordeaux et le C.H. de Montfavet) proposèrent une telle formation. Ce cursus d’une durée de 50 jours s’achevait par la présentation d’un mémoire clinique présenté devant ses pairs. Lorsque les événements de Pau amenèrent la création du tutorat et de la consolidation des savoirs, il devint impossible de maintenir cette formation extrêmement contraignante pour les unités de soins. Il leur était impossible de libérer des agents 50 jours d’un côté et 15 jours de l’autre. Les deux formations fusionnèrent donc. La consolidation des savoirs dura d’abord 23 jours plus deux, puis 21 jours plus deux. Chaque soignant devait présenter une histoire clinique fouillée devant ses pairs. Deux jours pleins (les + 2) étaient consacrés à cette soutenance. Ainsi, plus de 140 textes cliniques furent-ils élaborés, présentés et discutés à cette occasion.
La formation reposait sur l’expertise de trois soignants : Anne Rivet, psychologue clinicienne au C.H. Montfavet chargée de l’approche psychopathologique, Dominique Friard, I.S.P. chargé d’accompagner la rédaction de l’écrit clinique final et une psychologue clinicienne (Claudine Fuya, Karina Terki) ou actuellement un cadre-infirmier (Dominique Fontaine) chargés d’animer des séances d’analyse de la pratique professionnelle.
Les textes présentés étaient de longueur variable (de deux à dix-huit pages). Ils étaient le fruit d’un parcours et d’une élaboration de six mois où les allers-retours terrain-formation étaient nombreux, chaque champ enrichissant l’autre. Certains de ces textes ont été publiés dans des revues ou présentés lors de journées cliniques mais la plupart restent inconnus du public professionnel, ce que je trouve dommage. Nous allons en présenter quelques-uns dans cette rubrique.
Julie, Léa et Stéphanie, toutes trois adhérentes de serpsy ont emprunté ce chemin.
D. Friard
« Je ne sais plus quoi faire ! »
Récemment diplômée, avec peu d’expérience en psychiatrie, j’ai ressenti le besoin de suivre une formation complémentaire afin de me sentir davantage professionnelle dans mes fonctions d’infirmière en psychiatrie. J’ai pu ainsi acquérir un peu plus de savoir théorique, notamment par l’analyse de ma pratique.
Il m’arrive parfois, en effet, de me sentir en difficulté dans mon travail quotidien en C.M.P. Je me sens, alors, très loin de ce qui constituait mes références en soins généraux. Certains entretiens impliquent de faire des choix, d’orienter le patient et d’évaluer le degré d’urgence à agir ou non. Nous n’avons pas toujours le temps de prendre du recul pour mettre à distance certaines situations, les analyser, en déduire une démarche de soins qui donne du sens à notre travail. C’est pourquoi, il me semble très intéressant d’avoir une approche centrée sur l’analyse des pratiques qui permet d’apporter un autre regard sur la prise en charge des patients. Il m’apparaît chaque jour plus nécessaire de revenir sur la clinique qui constitue un apport indispensable à notre travail et permet de mieux appréhender les situations de soins.
Audrey n’en peut plus
Je m’interroge sur la prise en charge d’Audrey, une patiente âgée d’une trentaine d’années qui est suivie en psychiatrie depuis deux ans pour un syndrome anxio-dépressif qui se manifeste essentiellement par un trouble des conduites alimentaires de type anorexie mentale.
Audrey vient au C.M.P. une fois par semaine pour préparer son semainier. Les entretiens se font souvent de manière informelle. Elle est submergée par ses angoisses. Nous répondons souvent dans l’urgence avec la fâcheuse impression d’être à côté et qu’elle repart avec ses problèmes. Son corps meurtri depuis le viol qu’elle a subi à quinze ans ne semble plus constituer une enveloppe. J’ai la sensation de la voir disparaître sous mes yeux. Elle suscite en moi la peur d’un passage à l’acte impulsif.
Ça y est, c’est lundi ! C’est le jour où elle vient pour son semainier. Elle franchit la porte du C.M.P., la tête bien droite, avec sa longue chevelure brune. Elle donne l’apparence d’être sûre d’elle-même mais … Sa présentation est très féminine, soignée, maquillée. Ses vêtements bien coordonnés mettent en évidence sa cachexie extrême.
Je m’approche pour lui dire bonjour, lui serrer la main. Le mouvement est peu tonique. La voix est frêle, tremblante, presque nouée. Les larmes envahissent ses yeux. On y est, l’angoisse est palpable. Elle est dépassée. Probablement que moi aussi d’ailleurs. Elle lâche :
« Je n’en peux plus, je suis angoissée … Les médicaments ne me font rien. Je ne sais plus quoi faire. »
Les entretiens informels lui fournissent l’occasion de verbaliser son mal être mais elle a du mal à mettre des mots, c’est l’angoisse qui prédomine. L’ambiance est pesante. Certaines semaines, elle exprime même des idéations suicidaires telles que prendre sa voiture et se jeter dans un fossé voire avaler d’un coup tous ses médicaments. Parfois, trop rarement, elle n’exprime « que » de l’angoisse.
Le psychiatre la reçoit également régulièrement. Les traitements médicamenteux proposés ne lui conviennent pas. Elle a décidé qu’ils lui faisaient prendre du poids. Elle finit toujours, tôt ou tard, par arrêter de les prendre. Elle ne peut pas envisager la moindre hospitalisation. Elle met tantôt en avant des problèmes financiers, tantôt l’impossibilité de s’arrêter en maladie de peur de perdre un travail précaire. Tout semble servir de prétexte.
Je tourne en rond
Audrey me confronte à l’échec. J’ai l’impression de tourner en rond. Sa prise en charge provoque en moi un désagréable sentiment d’impuissance.
Le médecin refuse d’envisager autre chose qu’une hospitalisation qu’Audrey élude avec astuce. Elle refuse le traitement, n’adhère à aucune thérapeutique, qu’en est-il du travail infirmier ? Quelle stratégie de soin adopter ?
Je ressens chez elle une certaine ambivalence et une ambivalence certaine. Elle peut rechercher la proximité du soignant, la relation peut sembler thérapeutique mais c’est uniquement dans l’urgence, dans l’immédiateté quand elle se sent débordée par l’angoisse. Le reste du temps, elle est distante. Aucune continuité dans le soin n’est possible. Elle s’oppose régulièrement aux soins et met en place des mécanismes de résistance dont la finalité m’échappe.
Son ordonnance n’est actuellement plus renouvelée par le médecin. Il existe sûrement un moyen de l’amener à accepter cette hospitalisation dont je ne perçois pas vraiment la nécessité. Qu’en est-il de notre responsabilité de soignant dans l’obligation de mettre en œuvre les moyens de la contraindre au soin ?
Elle repart, en tout cas chez elle, seule. Le pari est ambitieux, voire audacieux. Il s’y joue son avenir.
A elle d’être le moteur de sa prise en charge !
Je ne suis pas la seule à me sentir tenue en échec par Audrey. Suite à ses multiples refus d’hospitalisation, il a été décidé, récemment, qu’elle ne serait plus prise en charge par le psychiatre qui la suivait jusqu’ici. Elle n’a pas été orientée vers un autre psychiatre du C.M.P. mais vers son médecin généraliste. A elle d’être le moteur de sa prise en charge en espérant que les choses puissent bouger.
Audrey ne passe donc plus au C.M.P., elle téléphone de temps en temps, pour donner de ses nouvelles. Elle nous a confié qu’elle se débrouillait pour son traitement, qu’elle avait repris de nombreuses activités sportives, et qu’elle envisage, depuis un certain temps, de déménager.
Une petite fille modèle qui ne sent plus exister
Aujourd’hui Audrey semble hyperactive comme elle l’était au début de sa prise en charge. Elle manifeste le besoin de maîtriser et de contrôler son environnement notamment dans la relation à l’autre avec un fort désir de plaire aux hommes en lien, peut-être, avec son histoire et la relation qu’elle entretient avec son père.
Audrey rattache ce besoin de plaire à son enfance, il est concomitant avec le retour de son père dans la famille quand elle avait six ans. Il coïncide également avec la naissance de son frère marquée à nouveau par les absences fréquentes d’un père militaire de carrière. Audrey se décrit comme ayant été une petite fille modèle, à présent lassée de cette représentation. Elle a le sentiment de ne pas exister. C’est dans ce contexte qu’elle est hospitalisée pour la première fois en 2003, sur demande d’un tiers. Elle avait tenté de se noyer. Non pas pour se tuer mais, dit-elle, comme une pulsion de vie liée à la transgression de l’interdit.
Lors des entretiens, Audrey évoque volontiers son enfance. Elle se souvient d’une relation fusionnelle avec sa mère. Jusqu’au retour de son père et la naissance de son frère. Elle décrit sa mère comme anxieuse, enfermée dans des comportements de type obsessionnel, dépressive même. Elle s’est alors sentie abandonnée par sa mère qui s’est occupée davantage de son petit frère et trahie par son père auquel elle voulait malgré tout plaire, allant même jusqu’à exercer la profession de gendarme pour répondre à ce qu’elle estimait être son désir. Alors qu’elle ne supporte pas l’uniforme.
Elle évoque une modification de con comportement à six ans. Elle a commencé à se replier sur elle-même, à multiplier les colères. Son adolescence difficile, est marquée par une anorexie mentale décelée à douze ans. Elle se déclare, dit-elle, suite à un régime dermatologique consécutif à des allergies alimentaires.
Elle a des antécédents suicidaires. La première tentative est consécutive à un viol, survenu à quinze ans. Elle dit qu’elle a eu le sentiment d’être morte ce jour-là. Elle ne connait que des relations très épisodiques avec des hommes de rencontre. Elle n’arrive pas à construire de relation durable avec un homme. Elle se sent sale. Elle ne peut exister que par sa maigreur.
Conclusion
Lorsque je recevais Audrey, je percevais un risque de passage à l’acte suicidaire dont son anamnèse montre qu’il n’était pas que théorique. Mes autres collègues, le médecin ne percevaient pas ce danger avec la même acuité que moi, pourquoi ? J’avais la sensation de lâcher prise, de l’abandonner dans sa souffrance sans pouvoir la soulager.
Je me sentais responsable de ne pas comprendre ce qui se passait pour elle.
Je m’accrochais à cette idée folle qu’il fallait la soigner, la « sauver » bien au-delà de ce qu’elle voulait, car j’étais confrontée à l’échec et ce n’était pas envisageable pour moi.
Le reste de l’équipe qui avait plus d’expérience m’a renvoyé sur ma position de soignante. Nous ne pouvons pas investir le monde et agir à la place des patients. Nous avons mis en œuvre différentes propositions de soin, de thérapies, nous l’avons d’autant moins abandonnée qu’elle a refusé activement nos propositions. Nous sommes le tiers à l’écoute, présent autant que possible. Pouvons-nous aller au-delà de l’autre ? C’est Audrey qui fait ses choix avec tout ce que cela comporte de risques mais aussi de possibilités de réussite.
Le diagnostic posé étant celui de « personnalité borderline », autant vous dire que ma mince expérience en psychiatrie m’a rendu la tâche bien difficile quant à cette prise en charge. J’ai fait preuve d’un réel manque de distance, les discussions en équipe m’ont permis de me rendre compte que j’y mettais un peu trop de moi-même. Je découvre au fil de ma vie professionnelle en psychiatrie qu’on travaille avec un bout de soi-même parce que nous ne sommes pas que des soignants, nous portons aussi notre passé, le présent et notre avenir qui nous apprend à travailler avec cette dimension dans toute sa complexité.
Garder la juste distance ? Je ne pense pas que notre formation initiale nous apporte une telle compétence, il faut accepter d’être impuissant parfois, se laisser du temps, apprendre des autres et de soi-même pour, peut-être, soigner « l’autre » un jour.
Aurélie Licari, I.D.E. C.H. Montfavet (84)
Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale
CONTROLEUR GENERAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTE
Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale
Dalloz, 2017.
L’étude qui suit s’appuie sur les constats opérés par les contrôleurs dans une trentaine d’unités accueillant des mineurs, essentiellement des adolescents. Elle rend compte de pratiques qui, pour avoir été couramment observées, ne sauraient prétendre à la représentativité ou à l’exhaustivité. Les exemples concrets qui sont rapportés se veulent avant tout occasion de réflexion ; ils ont aussi conduit à examiner précisément les textes, épars et parfois contradictoires, qui régissent la matière. L’analyse des constats suppose que soient préalablement connus les grands principes régissant l’autorité parentale utilisés tout au long du rapport ; ils seront donc brièvement exposés dans un premier chapitre (I). Sera ensuite posé le cadre général des soins en santé mentale à travers l’organisation du système de soins et la place du jeune patient au sein de ce système. Il apparaît que la minorité est une notion peu adaptée en matière de santé mentale (II). La question des modalités d’admission du mineur sera ensuite abordée, qu’il s’agisse de soins dits libres ou de soins sans consentement. Elle relève d’un système juridique complexe et laisse apparaître des pratiques variables (III). Enfin, seront évoqués les divers aspects de la prise en charge au regard du respect des droits du mineur et de ses représentants légaux (IV).
La suite à lire http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2017/11/Rapport-th%C3%A9matique-mineurs-hospitalis%C3%A9s_version-web.pdf
Les bousiers – Un texte de Dominique Friard
Des vertus du débats
Débats et des hauts
Des vertus du débat
L’aurore de ses doigts roses caresse tendrement la jongle endormie.(1) Dans ma hutte de bambou tressée je flâne sur le compte Facebook de la revue Santé Mentale. J’y lis que plus de 800 soignants ont assisté le 29 novembre, à Lyon, aux 3ème Rencontres Soignantes en Psychiatrie. Le thème en était « Isolement et/ou contention : quelles perspectives cliniques ? » Je me concentre, je fais le vide dans mon esprit ainsi que le recommande Christophe André. Je laisse tous mes muscles se détendre. Parfaitement serein, je peux lire les commentaires. Quelques réactions de dépit : « Un peu déçue par des pratiques pas franchement innovantes. Et pas de temps pour le débat. » « Moralisateur et pas de place au débat. Déçue. »
Faut-il s’arrêter à ces deux commentaires ou au contraire ne s’attarder qu’aux pouces levés des 71 like ? Il faudrait éviter de laisser les messages s’incruster dans nos esprits. Ne regarder que ces pouces glorieux qui valent approbation. Je suis ainsi fait que les mots m’attirent beaucoup plus que les images. Je préfère d’autant plus me focaliser sur les mécontents que présent lors de cette journée, j’ai eu la vive impression que tout n’allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes psychiatriques. Il est vrai qu’il y eut peu de place pour le débat. Douze interventions, un film, une remise de prix, un pique-nique géant organisé dans la salle de conférence, des pauses. Le menu intellectuel était copieux. Trop ? Quelques rares questions ont ponctué les quatre tables rondes. Applaudies chaque fois qu’elles visaient à légitimer isolement et contention. C’est en tout cas ce qu’il m’a semblé. Il est vrai que je n’ai fait que passer.
Donc pas de temps, ni de place pour le débat. Le constat mérite que nous nous y arrêtions même s’il semble très minoritaire. Le débat aurait-il eu davantage de place si les organisateurs avaient prévu davantage de temps pour les échanges ? Rien n’est moins sûr. Est-il possible de débattre à 800 ? Une journée consacrée aux perspectives cliniques soulevées par l’isolement et la contention en général implique-t-elle des positions si tranchées qu’il faille en disputer ? Chacun n’est-il pas d’accord avec le fait que la contention est nuisible en général ? On peut, par contre, discuter de cas particuliers, se demander s’il est ou était légitime d’attacher M. Dupont, un jeune psychotique délirant qui abuse régulièrement de cannabis. On s’opposera des arguments cliniques, on évaluera son potentiel de dangerosité, on scrutera le nombre de personnel présent au moment de sa crise d’agitation. Mais peut-on le faire à 800 ?
La question mérite d’être posée mais apparaît finalement comme assez secondaire. Sans le savoir, nos deux déçues des R.S.P. ont mis le doigt sur un mécanisme tout à fait passionnant qui relie, pour la langue, débat et contention.
Du débat à la contention
Chacun de nous, plus ou moins façonné par la télévision, croit savoir ce qu’est un débat. Le Grand Robert de Langue Française le définit comme « l’action de débattre une question, de la discuter avec un ou plusieurs interlocuteurs qui allèguent leurs raisons. » (2) Le débat fut même un genre littéraire en vogue au Moyen-Age et à la Renaissance. Deux personnages allégoriques s’y opposaient dans un dialogue autour d’un thème choisi donnant lieu à de véritables joutes oratoires. On doit ainsi à la poétesse lyonnaise, Louise Labé, le fameux Débat de Folie et d’Amour. On n’en sort décidément pas ! En un fameux passage à l’acte Folie énucléa Amour qui en devint aveugle.
Ainsi, qui dit débat dit conflit, dissension, désaccord. Nos deux collègues en regrettant l’absence de débat font état d’une opposition entre ceux pour qui ça va de soi et ceux pour qui ça ne va pas de soi. Les opposants n’auraient pas eu, selon elles, l’espace pour développer leur argumentation. C’est effectivement dommage.
Le mot débat, apparu au XIIIème siècle, est le déverbal du verbe débattre qui avait le sens de « battre fortement », puis « se débattre » et « discuter ». Par battre, on entendait d’abord donner des coups. Si le sens du mot s’est affadi avec le temps, il s’est ressourcé en étant à l’origine de nombreuses expressions techniques agricoles : « battre le grain », « fouler le drap », « rabattre la faux », etc.
Débattre c’est donc s’opposer avec des mots, des arguments, de la raison. Cette mutation, synonyme de progrès et de socialisation, conduit le mot à en croiser un autre aux significations, à l’origine, assez proches : contention. Tendre avec force, lutter, puis débattre et discuter. On évoque un esprit de contention et de chicane. Dans un langage assez soutenu la contention décrit au XIVème siècle la tension des facultés intellectuelles vers un objet de pensée puis une tension importante, un effort physique intense avant que la chirurgie s’en empare au XVIIIème siècle et n’en fasse l’action de maintenir dans une position adéquate un organe accidentellement déplacé. Lorsque l’on se réunit pour étudier le parcours clinique d’un patient qui pose problème et que l’on envisage de contenir, on fait preuve de contention. Lorsque chacun associe, réfléchit, se confronte à d’autres soignants plus à distance de la situation, lorsque l’on relit le dossier, lorsque l’on mobilise des situations proches pour en tirer des leçons, une expérience qui pourrait éclairer, c’est de la contention. Au sens premier du terme. Quand on renonce à ce travail de pensée, quand on substitue des actes à une réflexion qui nous borde on est contraint à la contrainte, à la contention.
Comment passe-t-on du sens chirurgical, réel dirais-je, à un sens métaphorique sinon fantasmatique ? Difficile d’y répondre en quelques phrases. On retrouve le sens spécifiquement psychiatrique du terme : « Immobilisation d’un malade mental agité ou furieux au moyen de dispositifs appropriés (camisole, ceinture, etc.) ».(3) La définition est illustrée d’un exemple : « Philippe Pinel fut l’un des premiers aliénistes à renoncer au principe de la contention des agités, entièrement abandonné depuis la découverte des neuroleptiques. »(4)
Il serait un peu facile d’affirmer que pour la langue, moins on utilise ses facultés intellectuelles et psychiques, moins on se préoccupe d’un objet de pensée tel qu’un patient ou un malade mental, plus on tend à l’attacher. La contention viendrait à la place du débat. On peut comprendre que nos deux collègues regrettent son absence.
Débattre à 800 ?
Il est heureux que les soignants soient en désaccord autour des isolements et contentions. Le consensus en cette matière serait tout à fait dommageable et pour les soignants et pour les patients même si notre bonne conscience préfèrerait que tous soient opposés à ces mesures. Nous sommes contre tant qu’aucune situation ne dépasse notre capacité à contenir agressivité ou violence. Il suffit que nous soyons en difficulté pour que la vigueur de notre refus faiblisse. Dans l’équipe certains commencent à en parler. Timidement. A voix basse. Autour du café. Ils ont connu un service où … Ils se rassurent très vite en précisant que dans ce service c’était rare et que ce n’était pas de la maltraitance. Plus l’équipe se sent en difficulté et plus ce courant d’abord souterrain prend confiance et parle ouvertement. Jusqu’au jour où l’on se résout à attacher le patient qui perturbe la vie du service. On est bien persuadé qu’on ne l’a fait qu’en dernier recours : « On ne pouvait pas faire autrement ! » Que ce soit vrai à cette occasion n’implique en rien que cela le soit lors des contentions suivantes. Parfois le pli est pris. La contention devient un mode de gestion des comportements inadéquats.
Parfois, on en reste là. A cette unique expérience. C’est tellement douloureux d’avoir dû en arriver à cette extrémité, qu’on y renonce définitivement. Les soignants en parlent pendant des années, même ceux qui ne travaillaient pas encore dans l’unité. Ça fonctionne comme une faute collective qui se transmet de soignants en soignants.
Débattre ? A 800 ? Impossible.
Ce n’est pas la bonne échelle.
L’isolement et la contention doivent être débattus à l’échelon local, entre collègues. On doit pouvoir s’opposer, faire état de nos désaccords, échanger des arguments et faire le constat que ces différences d’appréciations ne nous transforment pas en ennemis irréconciliables.
Les services psychiatriques sont assez mal faits. Il n’existe aucune possibilité de pouvoir compter le nombre de like lorsqu’une décision est prise. Si la communication, et je n’ose dire la réflexion, passaient uniquement par Internet ou par smartphone, si chaque soignant avait son avatar, il serait possible d’envoyer des like au médecin qui modifie un traitement neuroleptique. Chaque soignant serait une sorte de Néron qui pourrait abaisser ou lever son pouce, signifiant ainsi, la vie ou la mort pour la décision prise. On perdrait moins de temps en réunion.
Y aurait-il moins de contentions et d’isolements ?
Dans la jungle psychiatrique qui roupille, je laisse mes doigts se détendre, je les fais craquer. J’enfile une paire de gants et m’apprête à appuyer sur la touche. Le débat ne passera pas par moi.
Dominique Friard
Lanceur d’alertes
Notes :
1- GOTLIB, Rubrique-à-brac, n° 4, Dargaud, Paris, 2006, p. 4.
2- REY (A), Grand Robert de Langue Française, Paris, 2001.
3- REY (A), Grand Robert de Langue Française, Vol. 2, Paris 2001.
4- Ibid.
4èmes rencontres de la recherche en soins en psychiatrie. Les 24 et 25 Janvier 2018 Site du « Valpré » à Ecully (Lyon-Nord – 69)
Les larmes de la schizophrénie
v.s.t. – vie sociale et traitements n°136
Création(s)
v.s.t. – vie sociale et traitements n°136
Ateliers de modelage, de peinture, de décoration, art-thérapie, comédies musicales, spectacles de théâtre et de danse, art brut… L’utilisation éducative et thérapeutique des pratiques culturelles et artistiques ne date pas d’aujourd’hui. Peut-on dire qu’elle change ? N’accorde-t-on pas plus de place aux belles visibilités ponctuelles, coûteuses en argent et en énergie, et moins de petits moyens pour les activités du quotidien ? Et qui dit création sous-entend que ça peut échapper, que le soignant ou l’éducateur embarqué dans cette aventure doit laisser du mou, du jeu, et y mettre de lui – ou d’elle. Les compétences artistiques attendues, nécessaires, font-elles partie du métier éducatif ou soignant de base, quitte à les renforcer un peu, ou est-ce une affaire d’artistes ?