Le grand bal du printemps de la psychiatrie

« Les fleurs avec nous ! Les fleurs avec nous ! Les fleurs avec nous ! »

On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la psychiatrie.

Chacune avait reçu son préavis de rêve acheminé par une abeille diligente. Elles avaient longuement choisi leur parure. Chacune s’était maquillée, avait repassé ses pétales, affuté ses épines pour éloigner les gros bourdons casqués et castanérisés. Elles s’étaient parfumées pour accompagner le blues des blouses blanches, noires et bleues.

On avait planqué les perturbateurs endocriniens qui avaient rejoint neuroleptiques et antidépresseurs au musée des horreurs libérales.

On les avait toutes invitées pour n’en vexer aucune. Les pensées s’étaient libérées des IRM, des professeurs Tournesol et des petites lumières qu’elles allumaient dans l’hippocampe et sur l’aqueduc de Sylvius. On croisait des pensées profondes, des pensées obscènes, des pensées positives qui méditaient en position du lotus, des pensées uniques cachectiques, des pensées du jour en uniforme, drapées dans le drapeau bleu, blanc, rouge de Blanquer, des pensées obsédantes traitées par T.C.C, des pensées de Pascal et de Pierre Dac qui serinaient le discours sur la méthode ABA, des pensées envahissantes qui se faisaient du mouron, des pensées loufoques qui parlaient de transfert et d’écoute, des pensées morbides entourées d’immortelles et de pissenlits mangés par la racine, des pensées de Marc Aurèle et d’Orelsan, des pensées vagabondes qui descendaient le boulevard de l’hôpital. Elles braquaient le projecteur sur les nouveaux évangélisateurs, catéchumènes d’une psychiatrie enfin scientifique. De la dopamine pour les toxicos du cerveau ! De la noradrénaline pour les dopés du neurone ! Et un Centre expert pour tous !

On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la  psychiatrie.

Un parfum de printemps flottait sur la ville lumière qui sortait doucement des ténèbres. Prévert faisait le Jacques, Béranger arrosait la fleur qui lui pousse à l’intérieur, Brel apportait des bonbons. Et le chœur répondait : « Les fleurs sont périssables. Surtout lorsqu’elles sont en bouton mais l’idée de fleur, elle, est immortelle, comme le printemps, comme la révolte, comme le soin. ». Une sève nouvelle irriguait nos veines. On osait des métaphores inouïes. La partie se prenait pour le tout, et le tout défilait le poing levé.

On avait invité les fleurs, toutes les fleurs. Les rimes masculines et les rimes féminines. Et même celles qui ne riment à rien. Les belles échappées qui sentent le retour à la maison après l’isolement, les modestes qui se planquent sous la mousse comme tant d’infirmières en réunion. Les belles de jour toujours et de nuit qu’on ne passera pas, les dames-d’onze-heures qui cherchent midi à quatorze heures et arpentent les trottoirs parsemés de fleurs qui poussent sur le fumier de la misère psychique. Fleurs de riches et fleurs de pauvres. Fleurs de béton, de canicule, de caillasse et de montagne que des jardiniers aux mains habiles protègent des désherbants. Orchidées aux friselis envoûtants. Fleurs de banquet vendues en tapis, en bouquet, en cascades qui célèbrent des unions où l’on se déchirera à belles dents avant d’aller consulter au CMP. Prévoir quelques mois d’attente, les psys se font rares.

On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la  psychiatrie.

Les fleurs en serre avaient décliné l’invitation. Mesurées, jaugées, évaluées, calibrées, certifiées, elles séchaient sur place exsangues comme une quelconque psychiatrie publique.

La rose du petit prince n’en finissait plus de se préparer, lissant chacune de ses pétales tout en prenant garde au fondamental mouton de Panurge que ses épines n’effrayaient guère. Un peu.

Un tapis de marguerites dessinait un anneau de Moebius en effeuillant l’Aimée de Lacan. Beaucoup.

Un œillet flétri, rescapé de la révolution portugaise, décorait la boutonnière de l’illustre psychiatre inconnu qui avait vendu son âme à Lily, Sanofi et autre Otsuka. Passionnément. 

Un parterre d’oseille attendait la raiponce des actionnaires et perdait patience. A la folibérale !

Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ! A la folie ! 

A la folie ! Toast jamais porté.  

Ni Dieu, ni maître et la folie pour compagne !

On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la psychiatrie

Les grévistes de la faim de Rouen, les blouses noires, les perchés du Havre, les secoués de serpsy, les zunifiés, les zupéhesses de partout, les 39 et les 40-12, l’appel des appels et les moins-un, ceux de Sud et ceux du Nord qui ne devaient rien à Céline, ceux de la CGT qui en avaient marre de végéter, les non-dupes et les autres, les fils conducteurs et les points de capiton, les psy causes et la criée, humapsy et la Fedex tout ceux-là et beaucoup d’autres manifestaient pour le printemps de la psychiatrie, pour un renouveau du soin psychique.

Ils étaient tous là. Ceux qui dessinent un arc-en-ciel chaque fois que la pluie tombe sur la psychiatrie, ceux des boules de neige lancées sur les CRS, ceux qui entonnent des canons (à eau) chaque fois qu’un technocrate leur explique le soin, ceux qui persistent à se servir du nom-du-père quand l’époque se voue aux images, ceux qui gardent les portes ouvertes et se passent de windows, ceux qui vomissant Cortexte, Cariatide et Cimaise préférent raconter les soins sur une feuille d’assertion. Ils étaient tous là, les scribes et les interprètes, ceux qui musent et ceux qui habitent l’espace tonal. Et ça défilait, ça défilait.

On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la psychiatrie.

Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ! A la folie ! 

A la folie ! Toast jamais porté.  

Ni Dieu, ni maître et la folie pour compagne !

Le lierre, les ronces et la vigne vierge rêvaient d’envahir les chambres d’isolement qui ne serviraient plus à rien. Les chardons se bardagaient pour en interdire l’entrée.

Le muguet agitait ses clochettes qui tintinnabulaient pour un premier mai festif.

Les digitales avaient à cœur de montrer du doigt les économies de bouts de chandelle, les CDD courts qui rendent les équipes exsangues, les recommandations idéologiques de la haute autorité de santé.

Sur ce fumier poussait le soleil, espoir de renouveau pour un soin psychique en attente de jardinier.

Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ! A la folie ! 

A la folie ! Toast jamais porté.  

Ni Dieu, ni maître et la folie pour compagne !

Les roses blanches pour ma jolie maman désertaient les services de pédopsychiatrie envahis par des spectres. Ritaline et neuroleptiques, les sales  plantes chimiques, avaient remplacé les entretiens et les packs, les activités en tous genres qui fleurissaient au temps joyeux d’une clinique créative.

En psychiatrie d’adulte, les gentils coquelicots mon âme devenaient deux trous rouges au côté droit malgré tous les  plans suicide édictés par le gouvernement. Des couronnes mortuaires saluaient les avancées de la psychiatrie scientifique.

On avait invité les fleurs au grand bal  du printemps de la psychiatrie.

Les azalées trop zélées pour zézayer un oui, les pivoines trop rouges, trop confuses, des bégonias oubliées sur les balcons de tristes HLM de banlieue, elles étaient toute venues. Jusqu’à l’oiseau de paradis qui se prenant pour un colibri tentait d’attiser l’incendie qui venait. 

Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ! A la folie ! 

A la folie ! Toast jamais porté.  

Ni Dieu, ni maître et la folie pour compagne !

« Dans un état de droit,  les fleurs c’est à la boutonnière, avait ricané le président. Des fleurs dans les rues ce n’est pas dans le protocole.

-C’est égal, qu’on a répondu, la prochaine fois on invitera des fauves ! »

Dominique du Printemps de la psychiatrie

Poèmes quasi-érotiques

Une lecture musicale de Simone Molina et Pierre Fayolle

« Elle au mitan d’un lit
Oublie sa source
Gronde sous roche sous rocaille » (1)
La voix tour à tour chuchote et se déploie.
La petite Salle du Marquis est comble, il a fallu rajouter des chaises. Ce samedi 9 mars, à
Velleron, un vieux village du Vaucluse, dans la maison des associations, on célèbre la
Journée Internationale des droits de la femme par une lecture musicale. Simone. La salle
est comble et j’ai la sensation qu’elle ne s’adresse qu’à moi. Sa voix chuchote dans le
micro. Des choses intimes ou qui semblent l’être : « Langue furtive se perd entre givre et
brûlure d’un trop de dit ». (1) Pierre Fayolle, à la contrebasse, lui répond, l’enlace, se tait,
percute, reprend son archet et donne un baiser aux Accord’Amours et aux quelques
autres poèmes quasi-érotiques que Simone distille. Merveilleuse voix du bois et des
cordes, des doigts qui pincent et caressent les cordes. Elle, c’est Simone Molina.
« Elle
Efface la fenaison
Les saisons dévastées
Les plaintes qui hantent alentour » (1)
Une partie de moi réalise que je ne sais pas grand-chose d’elle. Nous avons fait
connaissance au cinéma, à L’Utopia, en Avignon. Elle animait une rencontre-débat
autour du film Rester vivant méthode. La gazette de l’Utopia indiquait simplement,
psychanalyste et présidente du Point de Capiton. J’avais entendu parler d’elle par des
collègues de Montfavet et de serpsy. Ils m’avaient parlé d’une femme engagée, d’une
psychanalyste et de son implication dans la vie culturelle de la ville. Le film parlait de lui-
même. Un poète mort n’écrit plus, alors il faut rester vivant. Revenir à la souffrance pour

continuer à écrire, composer, peindre. Robert Combas, Iggy Pop, Houellebecq, Claire
Bourdin et Jérôme Tessier partageaient leur chemin de vie et de création avec cette idée
qu’il faut être à l’écoute de soi et du monde pour rester vivant. Depuis nous sommes en
lien. Nos deux associations se sont rapprochées. Nous échangeons des informations sur
nos projets respectifs. J’ai même été invité à l’Assemblée Générale du Point de Capiton.
J’y ai présenté l’association serpsy. Un lien.
« Elle
Au lit
Et Hildegarde se pâme
Au chant du ménestrel » (1)
Des images naissent. Qui donc est cette Hildegarde ? Sûrement pas Hildegarde Peplau,
théoricienne du soin aux Etats-Unis, elle mit la relation au cœur du soin. La France
l’ignore. Hildegarde de Bingen ? Ce serait raccord avec la journée des droits de la femme.
Une bénédictine, une sainte au milieu de poèmes quasi-érotiques ? Compositrice, femme
de lettres, quatrième docteur de l’église après Catherine de Sienne et les deux Thérèse ?
Je me retrouve plongé au XII ème siècle. Je me rêve ménestrel. Je voyage bercé par les mots
de Simone, leur musique, les arabesques de la contrebasse. Mon tapis volant me mène
vers Bagdad, Samarkand. J’entends l’oud et le nay. Darbouka et qanûn les rejoignent.
Des musiques arabo-andalouses m’envoutent et me transportent dans un univers de
soieries et de loukoums.
« Elle et lui
Au lit
A l’envers du temps » (1)
La poésie vivante, vibrante de Simone m’emmène vers des rivages inconnus. Elle sait la
puissance de la parole qui apaise et nourrit la révolte. Elle sait ces mots que l’on pose sur
une feuille de papier et qui embrasent un monde. Ils naissent de l’écoute et du silence
que l’on fait en soi. Elle sait ce pas à pas du stylo ou du clavier qui s’acharne à décrire
l’oppression, à la donner à entendre jusque dans le ton de la voix et le rythme des
phrases.

1- Molina (S), Voile blanche sur fond d’écran, Ed La tête à l’envers, 2016.

Dominique Friard

PRINTEMPS DE LA PSYCHIATRIE

Printemps de la psychiatrie

Pour un renouveau des soins psychiques

 

La psychiatrie et la pédopsychiatrie n’en peuvent plus. Depuis déjà plusieurs décennies, ceux qui les font vivre ne cessent de dénoncer leur désagrégation et de lutter contre le déclin dramatique des façons d’accueillir et de soigner les personnes qui vivent au cours de leur existence une précarité psychique douloureuse. En vain le plus souvent. Ce qui est en crise, c’est notre hospitalité, l’attention primordiale accordée à chacun et à un soin psychique cousu-main, à rebours du traitement prêt-à-porter standardisé qui se veut toujours plus actuel. Les mouvements des hôpitaux du Rouvray, Le Havre, Amiens, Niort, Moisselles, Paris… ont su bousculer l’indifférence médiatique et rendre visible au plus grand nombre le chaos qui guette la psychiatrie. Pour percer le mur du silence, il n’aura fallu rien de moins qu’une grève de la faim …

Devant cette régression organisée, nous nous engageons tous ensemble à soigner les institutions psychiatriques et à lutter contre ce qui perturbe leur fonctionnement. Patients, soignants, parents, personnes concernées de près ou de loin par la psychiatrie et la pédopsychiatrie, tous citoyens, nous sommes révoltés par cette régression de la psychiatrie qui doit cesser. Il s’agit pour nous de refonder et construire une discipline qui associe soin et respect des libertés individuelles et collectives.

Contrairement à la tendance actuelle qui voudrait que la maladie mentale soit une maladie comme les autres, nous affirmons que la psychiatrie est une discipline qui n’est médicale qu’en partie. Elle peut et doit utiliser les ressources non seulement des sciences cognitives, mais également des sciences humaines, de la philosophie et de la psychanalyse, pour contribuer à un renouveau des soins axés sur la reconnaissance de la primauté du soin relationnel. Notre critique de ce qu’est devenue la psychiatrie ne peut faire l’impasse sur la responsabilité de ses gestionnaires.

Les avancées de la recherche scientifique ne peuvent durablement être confisquées par des experts auto-proclamés dont les liens avec l’industrie pharmaceutique sont parfois suspects. Les savoirs scientifiques ne doivent pas servir d’alibi à des choix politiques qui réduisent les sujets à un flux à réguler pour une meilleure rentabilité économique. Nous sommes face à une véritable négation du sujet et de sa singularité, au profit de méthodes éducatives, sécuritaires ou exclusivement symptomatiques. Les interdits de pensée sont devenus la règle d’une discipline où l’on débat de moins en moins. La psyché humaine est tellement complexe qu’elle n’obéit à aucune causalité, simple et univoque, et se moque des réductions idéologiques. Toute approche privilégiant une réponse unidimensionnelle est nécessairement à côté. Nous récusons, dès lors, toute politique d’homogénéisation des pratiques. Une politique qui détruit la cohérence des équipes et instrumentalise la parole des patients fige la capacité d’inventer à force d’injonctions paradoxales, dans la nasse de discours sans épaisseur et mortifères.

Aussi, si les budgets de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, sans cesse rognés depuis des années, doivent  être largement revalorisés, comme l’exigent toutes les mobilisations actuelles, c’est l’appauvrissement des relations au sein des lieux de soins qui est notre souci premier. La standardisation des pratiques protocolisées déshumanise les sujets, patients et soignants. Le recours massif aux CDD courts, le tarissement organisé de la formation continue, l’inadéquation des formations initiales qui privilégient cours magistraux et visionnages de DVD sans interactions entre les étudiants et leur formateur, contribuent à la désagrégation des équipes au sein desquelles le turn-over est de plus en plus important. La continuité des soins et la cohésion des équipes en sont durablement compromises. Nous devons opposer à cet état de fait la spécificité de la maladie psychique, qui sous-tend la nécessité d’une approche singulière et d’un travail spécifique d’équipes pluridisciplinaires en institution psychiatrique ainsi que dans le médico-social, et la co-construction d’alliances thérapeutiques fécondes avec les personnes accueillies. C’est tout le monde de la psy et des psys, en institution ou pas, qui est concerné.

Nous voulons en finir avec l’augmentation continuelle du recours à l’isolement et à la contention, la contrainte doit cesser d’être la norme. Le droit des patients, hospitalisés ou non, est régulièrement ignoré, parfois volontairement bafoué. Cette violence institutionnelle, régulièrement dénoncée par la Commission Européenne des Droits de l’Homme,  touche en premier lieu les soignés, mais affecte aussi les soignants. La psychiatrie et le secteur médico-social doivent pouvoir s’appuyer sur des équipes stables avec des personnels non interchangeables quel que soit leur statut. Ils doivent pouvoir bénéficier d’un assise solide qui autorise la parole et propose de véritables évolutions de carrière.

Au-delà du soin, nous voulons travailler à des accompagnements alternatifs, nouer des liens équilibrés avec les différentes associations qui œuvrent dans la cité. Nous voulons multiplier les lieux qui cultivent le sens de l’hospitalité avec un accueil digne et attentif aux singularités de chacun.

Nous nous engageons à participer, organiser, soutenir tout débat, toute action ou mouvement cohérent avec ce manifeste, avec tous les professionnels, leurs syndicats, les collectifs, les associations de familles et d’usagers, et l’ensemble des citoyens qui souhaiteraient soutenir et développer une psychiatrie émancipatrice du sujet.

Nous appelons à participer à la manifestation nationale du 22 janvier à Paris.

Debout pour le Printemps de la psychiatrie !

 

 

Les premiers signataires :

 

Alain Abrieu, psychiatre de secteur, AMPI, Marseille ; Isabelle Basset, psychologue clinicienne, CHPP, Amiens ; Mathieu Bellahsen, psychiatre – Chef de pôle, EPS de Moisselles ; Dominique Besnard , Militant des Cemea et membre des 39 ; Philippe Bichon, psychiatre, Clinique de La Borde ; Pascal Boissel, psychiatre, président de l’Union syndicale de la psychiatrie ; Cécile Bourdais, enseignante-chercheure en psychologie, Collectif des 39 et Psy soin Accueil ; Fethi Brétel, psychiatre, Rouen ; Alain Chabert, psychiatre, USP ; Patrick Chemla, psychiatre chef de pôle Reims, psychanalyste, anime le Centre Artaud et l’association la Criée ; Jérôme Costes, infirmier en psychiatrie ; Dominique Damour, Collectif des 39 ;  Pierre Delion, Professeur de psychiatrie ; Sandrine Deloche, psychiatre des hôpitaux, Paris ; Yves de l’Espinay, cadre infirmier formateur ; Parviz Denis, psychiatre, praticien hospitalier, membre de l’ADA ; Patrick Estrade, infirmier de secteur psychiatrique ; Fanny Rebuffat, interne en psychiatrie, Reims ; Dominique Friard, infirmier de secteur psychiatrique, superviseur d’équipes, rédacteur en chef adjoint de Santé Mentale ; Philippe Gasser, Vice-président de l’Union syndicale de la psychiatrie, Uzès ; Yves Gigou, Collectif des 39, CEMEA ; Delphine Glachant, psychiatre des hôpitaux, Union syndicale de la psychiatrie, Les Murets ; Roland Gori, psychanalyste, professeur honoraire de psychopathologie à Aix Marseille Université, président de l’Appel des appels ; Liliane IRZENSKI, pédopsychiatre, psychanalyste, Collectif des 39 ; Serge Klopp, PCF, Collectif des 39 ; Emmanuel Kosadinos, psychiatre des hôpitaux, EPS de Ville-Evrard ; Nicolas Laadj, SUD Santé Sociaux ; Marie Leyreloup, présidente SERPSY ; Sophie Mappa, psychanalyste ; Jean-Pierre Martin, Ensemble ! ; Simone Molina, Le Point de Capiton ; Pierre Paresys, psychiatre de secteur, vice-président de l’Union Syndicale de la Psychiatrie ; Martin Pavelka, pédopsychiatre, Association des Psychiatres du secteur Infanto-juvénile ; Virginie Perilhou, infirmière en psychiatrie ; Laurence Renaud, « personne avec expérience psychiatrique « , Réseau Européen pour une Santé Mentale Démocratique /psysoinsaccueil debout ; Pascale Rosenberg, USP, psychiatre, directrice du Cmpp Henri Wallon à Sainte Geneviève des Bois ; Dominique Terres, psychiatre, psychanalyste, membre de l’ADA.

 

Liste des groupes et syndicats soutenant l’initiative :

 

Appel des appels (ADA)

Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile

Association méditerranéenne de psychothérapie institutionnelle (AMPI)

CEMEA

Collectif des 39

La Criée

Humapsy

Pinel en lutte

Le Point de Capiton

Les Psy causent

Psy soins Accueil

Réseau européen des Santé Mentale démocratique

SERPSY

Fédération Sud Santé Sociaux

Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)

 

 

 

INSTITUTIONS

La revue de psychothérapie institutionnelle / FIAC

INSTITUTIONS

sera cette année à nouveau au salon de la revue.

Nous vous invitons cordialement à passer à notre table pour découvrir nos dernières productions,

et bavarder un moment

Avec ses près de 180 stands parmi lesquels un large éventail de nouveaux exposants et de toutes fraîches créations, le 28e salon de la revue promet découvertes et retrouvailles…

                   Vendredi 9 novembre 20h-22h
                                      Samedi 10 novembre 10h-20h
                                                        Dimanche 11 novembre 10h-19h30

Halle des Blancs-Manteaux
48, rue Vieille-du-Temple
75004 Paris

« Equipe et institution : quelle place pour les familles ? »

S a m e d i 2 4 n o v e m b r e de 9h15 à 12h15 et de 14h15 à 16h30 Salle de l’Auditorium Centre Hospitalier Montperrin 109 Avenue du Petit Barthélémy 13090 Aix en Provence

Résumé : De l’institution actuelle, émerge une souffrance souvent mise en lien avec les mutations socio-économiques. Celles-ci s’inscrivent dans une logique administrative quantitativiste, ouvrant la voie d’une déshumanisation possible et une déliquescence du collectif. Le fonctionnement d’équipe peut-être aussi bien en écho de la dynamique institutionnelle comme de la problématique du patient et des liens qu’il entretient avec ses proches Prendre en compte la dynamique des liens permet de réfléchir à ce qu’est « donner une place à la famille » dans le travail groupal et institutionnel. Accueillir et penser la famille n’est pas simplement s’entretenir avec ses membres. A partir d’une réflexion théorico-clinique, il s’agira de se demander : Qu’est-ce donc une famille en et pour l’équipe et l’institution ? Quels en sont les espaces possibles d’élaboration ?

Individuel adhérent : 30 euros

Individuel non adhérent : 45 euros Formation continue non membre : 75 euros

*Cette journée est incluse dans la formation des personnes inscrites à la formation « Sensibilisation aux concepts théoriques de l’écoute groupale de la famille » et aux personnes en deuxième et troisième année, en supervision première et deuxième année . Nom Prénom Profession Tél E-mail Adresse Attention : Nombre de places limitées à 80 (26 places déjà réservées pour les étudiants) Inscription : renvoyer le bulletin accompagné du règlement par chèque au siège : ADTFA, 39 rue Paradis, 13001 Marseille Pour tout renseignement téléphone : 04 91 55 03 15 (permanence : mardi, jeudi 09h-16h & vendredi 9h-15h)

Formation continue non membre : 75 euros *Cette journée est incluse dans la formation des personnes inscrites à la formation « Sensibilisation aux concepts théoriques de l’écoute groupale de la famille » et aux personnes en deuxième et troisième année, en supervision première et deuxième année . Nom Prénom Profession Tél E-mail Adresse Attention : Nombre de places limitées à 80 (26 places déjà réservées pour les étudiants) Inscription : renvoyer le bulletin accompagné du règlement par chèque au siège : ADTFA, 39 rue Paradis, 13001 Marseille Pour tout renseignement téléphone : 04 91 55 03 15 (permanence : mardi, jeudi 09h-16h & vendredi 9h-15h)

 » L’enseignement de la folie « 

Compagnie Zou Maï Prod

 Jeudi 11 octobre à 19h au Théâtre Jules Julien TOULOUSE

Estampille : c’est avec ce titre éponyme d’un des livres majeurs de François Tosquelles, psychiatre d’origine Catalane, que Christian Mazzuchini, Marilyne Le Minoux et la Compagnie Zou Maï Prod vous proposent une plongée dans la spirale hallucinante de l’entonnoir de la folie, d’où s’égouttent la pensée et les écrits de cet incroyable catalan, entre-coulée de «patmot » (pâte de mots), de l’irrésistible poésie contemporaine de Christophe Tarkos, mis en éclat par l’énergie drôlatique de Christian Mazzuchini.

L’ÉVOLUTION DE LA PROTECTION JURIDIQUE DES PERSONNES Reconnaître, soutenir et protéger les personnes les plus vulnérables

Rapport de mission interministérielle

Anne Caron Déglise Avocate générale à la Cour de cassation

à lire sur http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/184000626.pdf

Extraits

La protection juridique des majeurs, régime organisé par le droit civil à l’égard des personnes souffrant d’altérations de leurs facultés personnelles au point qu’elles ne peuvent pourvoir seules à leurs intérêts, concernait au début de l’année 2017 plus de 730 000 personnes. 725 000a d’entre elles ont un régime judiciaire de protection de type tutelle, curatelle et plus rarement sauvegarde de justice, le nombre de mandats de protection future en cours d’exécution s’élevant à 4 600b. Cette question affecte aujourd’hui la vie d’un nombre de plus en plus important de personnes en situation de particulière vulnérabilité, de proches et des multiples intervenants, professionnels ou non. L’évolution socio-démographique devrait amplifier encore le phénomène. Le système montre ses limites en particulier parce que, malgré l’avancée majeure qu’a constitué la loi n°2007-308 du 5 mars 2007, le dispositif juridique d’ensemble et les multiples modalités de prise en charge ne respectent plus à leur juste niveau les droits fondamentaux. Ils continuent à enfermer durablement un nombre important de personnes sans réelle possibilité d’évolution, comme en atteste le très faible nombre de mainlevées de mesures (moins de 2 %). Ce constat est d’autant plus préoccupant que le critère d’entrée dans un régime de protection est fortement discuté, l’évaluation des altérations des facultés personnelles ne prenant pas véritablement en considération les facteurs environnementaux et les possibilité

Séminaire psychanalyse et création « L’épreuve du Vide dans l’acte créateur »

Arles….

Pré-Texte

– « Mais de quelles preuves parlez-vous, que pensez-vous donc qui fasse preuve ? Lui dis-je
– L’épreuve fait la preuve ! répondit-elle, un peu facilement. Ce deuil, cette mélancolie, depuis que j’ai déménagé, mais je vis dans le lieu dès lors et « je-voix ». Cette tristesse a foré l’air en mon âme, et le Souffle circule. Dans ce Vide la barque ouvre la Voie, de trois coups de Pinceau-Encre. Cette Voie, ce n’est pas rien, c’est quelque Chose ! La brume fait preuve par sa révélation, elle est le lieu des transmutations/transformations du liquide en gazeux, lieu de sublimation
– Une création serait alors rendue possible par le style, la façon, les façons, heu.. les effaçons !
– Un effacement oui, et une apparition, oui, alors que l’Encre te creuse les plis tel un ravinement sous le ruissellement.
– « Qu’est-ce que c’est que ça, le ruissellement ? C’est un bouquet. Ça fait bouquet de ce qu’ailleurs j’ai distingué du trait premier et de ce qui l’efface. Je l’ai dit en son temps, mais on oublie toujours une partie de la chose, je l’ai dit à propos du trait unaire : c’est de l’effacement du trait que se désigne le sujet. Il se marque donc en deux temps, ce qui distingue ce qui est rature. Litura, lituraterre. Rature d’aucune trace qui soit d’avant, c’est ce qui fait terre du littoral. Litura pure, c’est le littéral. La produire, cette rature, c’est reproduire cette moitié , cette moitié dont le sujet subsiste »1. Reprend-il si loin et si présent, et revenant du Japon contemplant le littoral.
– La contemplation.. Vous n’avez pas un truc plus actif, d’autres objectifs pour la clinique? Une lutte pour défendre la psychanalyse en saison néo-libérale ?
– « La contemplation est active. C’est une activité de l’esprit qui nous ouvre à un dépassement de nous-mêmes. C’est le mouvement inverse de la consommation et du divertissement»2 Maintenant je m’y mets, « Montagnes et fleuves m’attendent pour s’exprimer »3

Du cri, à l’écrit…

Du cri à l’écrit psychose, corps et traces

En psychiatrie, on a tendance à mettre en avant le tout psychique, la pensée comme si la souffrance psychique n’avait pas de corps, ne pouvait prendre corps. Pourtant le corps se manifeste à nous d’emblée : le regard (quelquefois fou, vide), les odeurs, les mouvements corporels, mécaniques, figés, désordonnés.
Que fait-on de ces éléments bruts qui nous sidèrent ? Que fait-on pour rendre
une rencontre possible ? Comment s’y prend-on pour qu’émerge une parole
qui nous engage ? Comment penser ce travail de liaison ? Qu’en écrire ?Qu’est-ce que cette rencontre première provoque en nous ? Fascination, sidération, débordement, peur ? Comment ces éprouvés bruts qui agitent nos corps nous lient au patient au plus près de sa problématique, de ses abîmes (abysses) ? Comment font-ils écho aux nôtres ?
Que faire de ces traces, de ces empreintes qui persistent après la rencontre ? Comment métaboliser ? Comment transformer pour permettre les conditions du soin psychique ? Comment le cri se fait écrit, tissage, métissage, histoires à raconter ensemble ?
Nous vous proposerons des instants visuels et dansés.
Comme métaphore de la rencontre entre deux individus…
Deux corps… Deux intériorités…
De l’impression à l’éprouvé, de l’éprouvé à l’impression.
Du corps sensible au corps soignant…
La mobilité, une salutaire nécessité, que l’on soit patient ou soignant.
Quelles postures ? Quelles intentions ? Quels regards ? Quels éprouvés?

Qu’avec son corps, Introduction à la journée

Le mot corps est un des plus anciens de la langue française puisqu’on le trouve dès le 9ème siècle dans la Chanson de Roland. Il vient du latin corpus qui décrit tout ce qui constitue un ensemble structuré, corps de chair, mais aussi cité, nation, ouvrage de fortification, organisation, institution, etc. Il a aussi le sens d’individu, d’où en ancien français l’expression « mes cors » pour le pronom personnel « je » et, de nos jours « garde du corps » pour la garde de la personne.1

En psychiatrie, le corps est un réel omniprésent. Il insiste même davantage qu’une réalité psychique de moins en moins partagée. Les soignants se vivent comme des ambassadeurs d’une réalité à laquelle le patient doit adhérer, de gré ou de force. Le patient doit être observant, compliant, docile mais pas trop sinon il éprouvera quelques difficultés à trouver une place réhabilitée dans un corps social prompt à exclure les corps étrangers. Mais son corps déborde. Il déborde même de partout. Nous ne sommes confrontés qu’à du corps. Le corps maniaque envahit tout, un corps sans cesse en mouvement, sans trêve, ni repos, un corps omnipotent qui s’épuise à contrôler le monde. Le corps schizophrène colle au nôtre, nous percute ou se mutile, corps morcelé, corps en miettes, corps neuroleptisé, corps qui ne respecte pas les distances intimes et qui semble vouloir entrer dans la bulle du soignant, corps qui irrupte, sans frapper, dans l’espace infirmier, corps qui exige, corps qui fait peur. Le corps borderline se rit des limites, colonise le nôtre, le bombarde de scories qui instillent en nous des émotions qui l’effractent. Il attaque tous les liens que nous prétendons tisser sauf les liens d’attachement évidemment. Le corps alcoolo-dépendant titube, vacille ou explose dans des conduites de parade qui le font tenir debout. Le corps squelettique anorexique se vomit, se remplit, se maîtrise, s’unisexe jusqu’à en mourir. Le corps déserté Alzheimer se perd dans les méandres de l’oubli et va droit devant lui sans tenir compte ni des obstacles, ni de quoi ni de qu’est-ce. Le corps en pointillé déprimé, le corps figé, porte-manteau catatonique recule les limites du ralenti. Le corps mélancolique pourrit de l’intérieur. Avant de s’arc-bouter sous les secousses du sismothère. Les poings qui se serrent. Les sangles qu’on attache. Les poings qui tambourinent sur la porte des chambres d’isolement thérapeutique. Du corps, que du corps partout. Corps des patients agglutinés qui envahissent le bureau des soignants, visage de bouffons de ces vieux chroniques édentés, aux dents noires, aux ongles maculés par des milliers de mégots, barbes noires et hirsutes de ces créatures étranges que les neuroleptiques ont transformés en femmes à barbe.2 Corps incuriques plongés dans les pyjamas difformes de l’institution. Corps dévêtu de la jeune femme en état maniaque. Ces panses qui débordent des pulls, des chemisiers de ces jeunes gens confrontés à l’irruption d’une gloutonnerie iatrogène, vorace … Et le bas, toujours le bas, ils sont constipés, sans cesse, sans relâche, malgré la poudre magique donnée à chaque repas ! Je tais volontairement les odeurs. Je ne voudrais pas vous dégouter si tôt le matin. Du corps qui empègue le soignant. Comme un lent défilé à la Jérôme Bosch. Des monstres qui s’éloignent de l’humain, au fond guère différents, dans la représentation, des démons cornus qui peuplent d’autres tableaux de l’artiste. Des regards qui vous traversent sans vous voir. Des propos incohérents tour à tour éructés et murmurés. Une liberté inouïe dans un contexte de contrainte.

L’argumentaire de la journée m’amenait dans ce chemin de pensée quand j’ai rencontré un magnifique texte de Michel Foucault : « Le corps utopique ». Il s’agit du texte d’une conférence prononcée sur Espagne Culture le 7 décembre 1966. Ces corps hospitalisés, ces corps paradoxalement libres ne le sont qu’en référence à nos propres contraintes. Ainsi que l’écrit Jean Oury : « Ça m’embarrasse beaucoup de parler du corps et de la psychose par le sujet lui-même, ça met en question forcément ce que l’on pourrait appeler modestement son propre corps, mais par rapport à quoi, à qui ? C’est vite fait de dire « la psychose » et encore plus vite fait de dire « mon propre corps ». »3 D’autant plus que ce corps nôtre est de moins en moins un corps en mouvement. Encastrés dans nos bureaux infirmiers, dissimulés derrière le temps réel de nos écrans d’ordinateurs, derrière les tableaux de nos tablettes, l’œil rivé sur nos téléphones portables, sur nos Android qui nous évitent de nous connecter au quotidien des patients, nous ne bougeons plus guère. Juste une question d’application.

« Mon corps, explique Foucault, c’est le lieu sans recours auquel je suis condamné. »4 […] « Je peux bien aller au bout du monde, je peux bien me tapir, le matin, sous mes couvertures, me faire aussi petit que je pourrais, je peux bien me laisser fondre au soleil sur la plage, il sera toujours là où je suis. Il est ici irréparablement, jamais ailleurs »5 […] « Mon corps, poursuit-il, c’est le contraire d’une utopie, ce qui n’est jamais sous un autre ciel, il est le lieu absolu, le petit fragment d’espace avec lequel, au sens strict je fais corps. »6 Nous pourrions facilement partager l’analyse de l’archéologue du silence. Névrosés moyens, comme lui, nous savons raison garder et corps ranger. Sauf que …

« Tous les matins, même présence, même blessure ; sous mes yeux se dessine l’inévitable image qu’impose le miroir : visage maigre, épaules voutées, regard myope, plus de cheveux, vraiment pas beau » 7 Chacun superposera son propre visage, son propre corps à celui de Foucault. Sauf que … Nous connaissons tous des voyageurs immobiles qui se réveillent matin face à un visage qu’ils ne connaissent pas, dans un corps qu’ils n’habitent pas. Jean Oury raconte ces réveils qui sont autant de créations du monde. « [] en général, quand on ouvre un œil, on ne réfléchit pas pour ouvrir le second ; et même, on ouvre les deux à la fois. Mais supposez que ça devienne un problème ; ouvrir un œil et réfléchir : est-ce que je vais ouvrir l’autre ? Est-ce que je vais remuer un bras ou une jambe ? Est-ce que je vais m’habiller ? Mais comment faut-il que je m’habille ? Est-ce qu’il faut que je mette mes chaussettes ?… Comment je vais les mettre ? Enfilées dans les bras ? Sur la tête ? Et les chaussures, qu’est-ce que je vais en faire ? À l’endroit ? À l’envers ? Ça semble ridicule de poser des questions comme ça, mais ça fait partie de ce que des psychiatres phénoménologues (en particulier Erwin Straus) appellent les « axiomes de la quotidienneté ». Les normosés ont des « axiomes de la quotidienneté » qui fonctionnent bien ; on ne réfléchit pas pour lever un bras, ou mettre un pied devant l’autre, ou s’habiller comme ci ou comme ça, suivant la mode ou non : ça fonctionne tout seul. Mais dans la psychose, il y a là quelque chose qui est plus ou moins altéré. C’est d’ailleurs parce qu’il y a des psychotiques qu’on a défini des  « axiomes de la quotidienneté  » ; sinon, on ne se serait pas posé des problèmes ridicules de cet ordre. »8 Jean-Marc Henry nous proposera, tout à l’heure, un éclairage phénoménologique sur les rapports entre corps et psychose. Véronique Defioles nous entretiendra de ces empreintes perdues et de celles qui contiennent.

Revenons à notre névrose, aux normosés que nous sommes, selon Oury. C’est contre ce corps prison, comme pour l’effacer, reprend Foucault, qu’on a fait naître toutes ces utopies : « Le prestige de l’utopie, la beauté, l’émerveillement de l’utopie, à quoi sont-ils dus ? L’utopie c’est un lieu hors de tous les lieux, mais c’est un lieu où j’aurai un corps sans corps, un corps qui sera beau, limpide, transparent, lumineux, véloce, colossal dans sa puissance, infini dans sa durée, délié, invisible, protégé, transfiguré ; et il se peut bien que l’utopie première, celle qui est indéracinable dans le cœur des hommes, ce soit précisément l’utopie du corps incorporel. »9 Cette utopie n’est-elle pas ce que vivent les patients que nous soignons ? Cet imaginaire n’est-il pas leur réel ? Ne vivent-ils pas dans le « pays des fées, le pays des lutins, des génies, des magiciens », dans le pays « où les corps se transportent aussi vite que la lumière », dans le pays « où les blessures guérissent avec un baume merveilleux le temps d’un éclair », dans le pays « où l’on peut tomber d’une montagne et se relever vivant », dans le pays « où l’on est visible quand on veut, invisible quand on le désire ». Ce pays est autant celui d’Harry Potter que celui des transhumanistes. Nul n’y vit que des enfants et … des psychotiques. Ainsi que l’écrit Freud, les névrosés construisent des châteaux en Espagne que les psychotiques habitent.10 Quant à savoir qui paie le loyer. Julie Cubells nous en dira quelque chose avec son coup de la panne qui ne traduit pas une défaillance sexuelle mais celle du corps institutionnel. L’hôpital psychiatrique, ancienne utopie devenue asile, est le lieu de toutes les rencontres, on peut même y retrouver son grand-père, à son corps défendant. C’est ce que mettra en scène la pièce que nous jouerons cet après-midi.

Le corps ne se laisse pas faire. Il ne se laisse pas réduire si facilement. Il est aussi toujours ailleurs. « Mon corps, corrige Foucault, est lié à tous les ailleurs du monde, et à vrai dire il est ailleurs que dans le monde. Car c’est autour de lui que les choses sont disposées, c’est par rapport à lui –et par rapport à lui, comme par rapport à un souverain –qu’il y a un dessus, un dessous, une droite, une gauche, un avant, un arrière, un proche, un lointain. Le corps est le point zéro du monde ; là où les chemins et les espaces viennent se croiser le corps n’est nulle part : il est le cœur du monde ce petit noyau utopique à partir duquel je rêve, je parle, j’avance, j’imagine, je perçois les choses en leur place et je les nie aussi par le pouvoir indéfini des utopies que j’imagine. »11

C’est à partir de mon corps, mesure de toutes choses, que j’appréhende le monde. Sabrina Bouttier nous fera faire ce chemin, de la conscience du corps à l’expression de soi. Expression de soi encore que celle du danseur : « Est-ce que le corps du danseur n’est pas justement un corps dilaté selon tout un espace qui lui est intérieur et extérieur à la fois ? » demande Foucault. Valérie Le Roux, danseuse de son état et Virginie Giraud, plasticienne, nous en feront la démonstration. Shanti Rouvier nous emmènera vers le cri, vers la transe. « Mais c’est qui Franco ? » ne décrit pas une utopie mais nous avons fait le pari d’en incarner les personnages. Ils décrivent tout comme le texte de Julie Cubells, un certain type de corps à corps avec l’organisation.

Le mot corps n’existait pas dans le vocabulaire de la Grèce antique. Soma désignait le cadavre par opposition à Psyché qui correspondait à l’âme. Psyché et Soma étaient intimement liés durant la vie car la Psyché représentait la forme extérieure du corps. Elle enveloppait le Soma comme une seconde peau invisible. Pour les Grecs, ainsi que l’illustre l’histoire de la mort d’Hector et le refus d’Achille de l’enterrer, la mort physique ne coïncidait pas avec la séparation de l’âme et du corps. Pour que cette séparation ait lieu, il fallait que le cadavre soit enterré ou brûlé, c’est-à-dire soustrait au regard des vivants. Le Soma, désormais invisible, permettait à la Psyché de se séparer de lui pour retrouver le royaume des ombres qui peuplent l’Hadès. Elle évitait ainsi la souffrance éternelle.12 Soustraire au regard des vivants n’est-ce pas ce que propose une certaine psychiatrie ? Foucault note que « c’est le cadavre et le miroir qui nous enseignent que nous avons un corps, que ce corps a une forme, que cette forme a un contour, que dans ce contour il y a une épaisseur, un poids ; bref que ce corps occupe un lieu. »13Grâce au cadavre et au miroir, notre corps n’est pas une pure et simple utopie, même si nous ne sommes pas dans le miroir et que nous ne pourrons jamais être là où sera notre cadavre. Foucault conclut en écrivant que « L’amour, lui aussi, comme le miroir et comme la mort apaise l’utopie de [notre] corps, il la fait taire, il la calme, il l’enferme comme dans une boîte, il la clôt et il la scelle. » Il est une autre activité humaine qui permet d’exister hors de toute utopie, avec toute sa densité, entre les mains de l’autre, c’est le soin. Dans le soin, qu’il soit somatique ou psychique, entre illusion du miroir et menace de la mort, le corps est ici. Organisé, planifié, institué ou non l’accueil est d’abord un ballet, une histoire de corps qui se jaugent, se mesurent et s’apprivoisent. Dans un cadre de soin conçu pour accueillir ces corps qui débordent. Le soin est d’abord la rencontre entre deux corps, entre deux modalités d’habiter son corps. C’est ce que nous allons tenter de voir aujourd’hui.

Dominique Friard, ISP, Superviseur d’équipes

1 MATHIEU-ROSAY (J), Dictionnaire étymologique, Nouvelles Editions Marabout, Alleur, Belgique, 1985.

2 FRIARD (D), JARDEL (V), Corps objet, corps sujet. In Santé mentale 2004 ; n° 90, pp. 52-58.

3 OURY (J), Le corps et la psychose, séminaire tenu à la fac de Jussieu, 15 janvier 1976.

4 FOUCAULT (M), Le corps utopique, Lignes, Paris, 2009, pp. 9-20.

5 Ibid.

6 Ibid.

7 Ibid.

8 OURY (J), Vie quotidienne, rythme et présence.

9 FOUCAULT (M), Le corps utopique, Lignes, Paris, 2009, pp. 9-20.

10 FREUD (S), Der Dichter und das Fantasieren, in L’inquiétante étrangeté et autres essais.

11 FOUCAULT (M), Le corps utopique, Lignes, Paris, 2009, pp. 9-20.

12 ANDRE (P), BENAVIDES (T), CANCHY-GIROMINI (F), Corps et psychiatrie, Editions Heures de France, Thoiry, 1996.

13 FOUCAULT (M), Le corps utopique, Lignes, Paris, 2009, pp. 9-20.